Neurosciences : la note à l’école, piètre retour sur erreur (Stanislas Dehaene)

Neurosciences : la note à l’école, piètre retour sur erreur (Stanislas Dehaene)

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Un manque de précision

Selon la théorie de l’apprentissage, la note est un signal de récompense (ou de punition). Mais une note pure est dépourvue de précision. Souvent, elle résume différentes sources d’erreurs sans forcément les distinguer et n’est donc pas suffisamment informative. Une note ne permet pas, à elle seule, de savoir pourquoi on s’est trompé ni comment se corriger. De plus, quand elle différée dans le temps, l’élève a oublié ce qui l’a induit en erreur.

La note sèche, lorsqu’elle n’est pas accompagnée d’appréciations détaillées et constructives, constitue donc un bien piète retour sur erreur. – Stanislas Dehaene, neuroscientifique et auteur du livre Apprendre !

Stanislas Dehaene fait une analogie avec le jeu vidéo. Quand on démarre un nouveau jeu, on ne sait pas quelle est la manière efficace de progresser. On n’a pas envie que la machine ou une personne nous rappelle en permanence à quel point on est mauvais. C’est pourquoi les concepteurs de jeux vidéos introduisent, au départ, des niveaux extrêmement faciles où les joueurs prennent plaisir en gagnant presque à coup sûr. Très progressivement, la difficulté augmente et, avec elle, le risque d’échec et de frustration. Mais les programmeurs savent la mitiger en mélangeant le facile et le difficile et en donnant la latitude de rejouer le même niveau autant que nécessaire. Progressivement, le score s’améliore et, à force d’entraînement, le jouer franchit l’obstacle qui bloquait et monte d’un niveau.

Stanislas Dehaene compare cette progression avec le bulletin de notes d’un mauvais élève : ce dernier démarre l’année avec une mauvaise note et, au lieu de le remotiver, en lui laissant repasser le même test jusqu’à la réussite, on lui impose un exercice nouveau toujours au-dessus de ses capacité.

Le neuroscientifique remarque avec malice que, sur le marché du jeu vidéo, un design aussi désastreux serait un échec cuisant.

Des effets délétères sur la motivation

Ce serait faire preuve de cécité volontaire que de ne pas voir que les “mauvaises” notes ont des effets négatifs sur les systèmes émotionnels des enfants : découragement, impuissance apprise, honte.

Les effets du stress ont été particulièrement étudiés dans le domaine des mathématiques, “championnes mondiales de l’anxiété scolaire” comme l’écrit Stanislas Dehaene.

En cours de mathématiques, certains élèves souffrent d’un authentique mal-être proche de la dépression parce qu’ils sont complètement découragés : quoi qu’ils fassent, ils seront sanctionnés par une note synonyme d’échec. Or le stress et l’anxiété nuisent à la faculté d’apprendre.

Distribuer une mauvaise note en la présentant comme une sanction morale et comme une identité (tu es nul.le), c’est déclencher du stress et donc prendre le risque d’inhiber les progrès de l’enfant.

De plus, une action (j’ai échoué) n’est pas une identité (je suis nul.le).

Un esprit de compétition délétère

La note est également l’instrument au service de la compétition (sans note, pas de classement). Les enfants sont évalués les uns par rapport aux autres plutôt que sur la base de leurs potentialités individuelles. Les progrès d’une situation A vers une situation B sont pourtant plus à valoriser pour que l’enfant comprenne qu’il a le droit de se tromper mais aussi le devoir de se donner les moyens d’atteindre ses objectifs personnels.

[…] On mesure les écarts entre différentes performances; on recherche une conformité; on met au point des critères, des dispositifs. On compare, on fait des statistiques : les bons élèves, les bonnes classes, les bons établissements, les bons pays…

Dès la petite section de maternelle, l’école se charge de faire comprendre les règles de cette course au long cours : les mieux notés seront les mieux servis en termes de choix d’orientation, de diplôme et donc de valorisation sociale. – Catherine Chabrun ( enseignante et a fait le choix de la pédagogie Freinet dans sa classe)

Il serait alors bienvenue de remplacer la concurrence par le plaisir de l’effort, le plaisir d’apprendre et de progresser, le dépassement de soi (plutôt que le dépassement des autres), la coopération, l’inclusion, la collaboration et la solidarité.

Le risque d’un état d’esprit fixe

Quand un enfant accumule les mauvaises notes, sa personnalité et son estime de soi en prennent un coup. La psychologue américaine Carol Dweck a longuement étudié les effets négatifs de cette disposition mentale qui consiste à attribuer ses échecs (ou ses réussites) à un aspect fixe et immuable de sa propre personnalités (ex : “je suis nulle en maths”, “le français, c’est pas mon fort”, “je n’y arriverai jamais”).

Cet état d’esprit fixe s’oppose à l’idée validée par les neurosciences que tous les enfants peuvent progresser. Cette conviction que tout le monde peut apprendre, progresser et devenir de plus en plus intelligent s’appelle l’état d’esprit de développement (ou de croissance).

Selon les travaux de Carol Dweck, à performance égale, l’état d’esprit (fixe ou de développement) joue un rôle important dans l’apprentissage. Avoir un état d’esprit de développement consiste à être convaincu qu’un progrès est toujours possible avec de l’entraînement et des stratégies. Avoir un état d’esprit fixe consiste à croire que les compétences sont fixées une fois pour toutes qu’on est doué ou pas doué.

Le fixisme démotive : il n’encourage ni l’attention ni l’engagement actif, et il interprète l’erreur comme un indice d’une nullité intrinsèque… alors que se tromper est naturel, cela prouve simplement qu’on a essayé. – Stanislas Dehaene

Compléter les notes

Selon Stanislas Dehaene, les notes ne devraient jamais être synonymes de sanctions morales. Pour autant, cultiver l’état d’esprit de développement des enfants n’est pas synonyme de béatitude mais consiste plutôt à remarquer les progrès, encourager la participation, stimuler leur attention, envisager les erreurs comme des sources d’information sur ce qui a été compris ou non et sur le raisonnement de l’élève.

Il est également possible d’expliquer les fondements même de l’apprentissage : la seule façon de développer les circuits du cerveau, c’est de déployer des efforts, de s’entraîner, d’essayer plusieurs stratégies et de s’engager au risque de l’erreur, qui est source d’information.

La vision traditionnelle des notes conduit inexorablement à juger un élève comme bon ou mauvais, plutôt que de dire qu’il sait ou ne sait pas et de comprendre l’origine de ses difficultés.

On peut mentionner par exemple ce qui se passe dans les les classes Freinet, où les notes peuvent disparaître. Mais ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de notes qu’il n’y a pas d’évaluation. Les enfants ont besoin de montrer ce qu’ils ont produit ou créé, ont besoin de voir leurs efforts et leur travail reconnus par d’autres.

Ce qui est important est de donner des outils aux enfants pour qu’ils visualisent leur progrès, réussites et échecs, pour qu’ils évaluent ce qu’ils ont appris, ce qui leur reste à apprendre.

En pédagogie Freinet, l’évaluation revêt trois aspects importants :

  • l’évaluation de l’enfant par lui-même (l’auto évaluation),
  • l’évaluation de l’enfant par le groupe, la classe,
  • l’évaluation de l’enfant par l’enseignant.

L’interaction de ces trois types d’évaluation aboutit à une évaluation complète qui profite en premier à l’enfant. Évaluer devient ainsi donner de la valeur, valoriser.

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Source : Apprendre ! Les talents du cerveau, le défi des machines de Stanislas Dehaene (éditions Odile Jacob). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.

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Et complément sur la pédagogie Freinet : Entrer en pédagogie Freinet de Catherine Chabrun (éditions Libertalia )