En quoi l’oubli touche-t-il ce que les enfants apprennent ? Quelles stratégies pour une consolidation mnésique efficace ?
En quoi l’oubli touche-t-il ce que les enfants apprennent ? Quelles stratégies pour une consolidation mnésique efficace ?
Pourquoi exiger des élèves qu’ils retiennent des choses alors qu’on n’a rien fait pour les aider à mémoriser ? Comment “jouer” avec l’oubli ?
Expliquer aux élèves comment le cerveau et la mémoire fonctionnent
La mémoire (ou plutôt les mémoires) n’est pas un stock d’éléments pour se rappeler des souvenirs. Les neurosciences nous invitent à repenser cette définition car la mémoire est au cœur de toutes les activités scolaires.
Un souvenir est une agrégation d’éléments mémoriels de structures extrêmement différentes (sémantiques, émotionnels, visuels…). Les morceaux de souvenirs s’installent dans des zones différentes du cerveau. Comme les mémoires ont des fonctionnements indépendants, les “morceaux” sont biaisés lors du rappel car la reconstruction globale du souvenir est différente de la réalité.
Les différents types de mémoire
- La mémoire à court terme
La mémoire à court terme à une capacité limitée : elle maintient en mémoire les informations disponiibles pour un traitement immédiat et est dépendante des capacités intentionnelles.
- La mémoire de travail
La mémoire de travail a pour rôle de maintenir temporairement et de traiter les informations pendant la réalisation des tâches cognitives ‘je prends, je traite, j’essaie de faire sens sans essayer de garder l’information). Ses fonctions essentielles sont : le contrôle de l’attention, la coordination des informations, l’élaboration de stratégies, la planification des différentes étapes d’une action et l’inhibition des réponses jugées non pertinentes.
La mémoire de travail est quantitativement limitée : c’est l’empan mnésique (limite quantitative du nombre d’éléments qu’on est capable de retenir simultanément – on l’estime autour de 7 éléments).
- La mémoire à long terme
Elle possède une capacité illimitée. C’est la partie inconsciente de la mémoire qui fournit les connaissances jugées utiles à la mémoire de travail. Elle conserve les connaissances dans différentes parties du cerveau (mémoire épisodique, mémoire sémantique, mémoire procédurale).
- La mémoire explicite
La mémoire explicite est déclarative et consciente. Elle est constituée de la mémoire sémantique (gestion des connaissances, des concepts, des mots…) et épisodique (mémoire personnelle des événements de nos vies).
- La mémoire implicite
La mémoire implicite est non déclarative et inconsciente. Elle comprend nos habitudes acquises, celles que nous mettons en place sans le vouloir. C’est une mémoire que nous ne perdons pas (sauf en cas d’accident ou de maladie) et qui est indissociable de l’action. On l’appelle aussi mémoire procédurale. Elle nécessite peu de ressources attentionnelles et permet de faire une autre tâche en même temps (par exemple, conduire et discuter avec des passagers).
A quoi la mémoire sert-elle ?
- Percevoir
Les signaux perçus arrivent dans un premier sas de perception. La perception est la transformation des stimuli externes en activation neuronale dans un premier “sas” (la mémoire lexicale) qui fait appel à la mémoire à long terme et qui lui demande : est-ce que tu connais ?
- Comprendre
Comprendre, c’est mettre du sens derrière les signes perçus, créer des représentations mentales en fonction de situations connues. On a besoin de “briques” (situations de référence) sur lesquelles s’adosser pour comprendre.
Il faut du stock pour comprendre. On ne peut donc pas comprendre sans mémoire.
- Traiter les informations
Il y a les opérations de traitement : analyser, résumer, hiérarchiser, identifier l’essentiel, décider… Le traitement est possible seulement si la mémoire de travail peut faire des liens avec ce qu’elle a “en stock”.
- Reproduire
Dans la reproduction, j’appelle et je mobilise (réciter une poésie, donner une définition par coeur…).
- Produire
A partir d’un certain nombre d’éléments, on produit quelque chose de nouveau en articulant des savoirs. On ne crée jamais ex nihilo. La création est une libération de l’inhibition. Imaginer est possible parce que l’humain a une capacité de mémoire.
- Se construire une identité et se projeter
Il y a la construction identitaire de l’individu : nous savons qui nous sommes parce que nous avons un nom, une origine, une histoire… qui reposent sur des éléments mémoriels. La projection identitaire se base sur ces éléments.
Une bonne mémoire ?
On n’a pas “une” bonne mémoire parce qu’il y a plusieurs sortes de mémoire. On peut être doué dans un domaine mémoriel et moins dans un autre. Ainsi, il n’y a pas une mémoire des mathématiques : le processus de résolution d’un problème mobilise à la fois la mémoire verbale, sémantique, procédurale, l’inhibition… Dans une simple opérations, des dizaines de zones mémorielles sont mobilisées.
Toutes les mémoires sont reliées entre elles comme un système. Elles fonctionnent continuellement même si certaines sont plus mobilisées dans certaines activités que d’autres.
La nature veut qu’on oublie : on a besoin de mécanismes et d’outils pour contrer l’oubli car mémoire et oubli vont de paire !
De la trace mnésique à la consolidation à long terme
Quand on perçoit une information pour la première fois, on crée une trace dans le cerveau comme un sentier dans une forêt. De ce sentier, il faut en faire un chemin durable. Que faire pour transformer la trace initiale en chemin fiable et pérenne dans le temps ?
- La mémoire fonctionne par résonnement (les informations résonnent dans la tête en faisant appel à des contenus anciens intégrés. Comme les informations sont traitées cognitivement en fonction de ce dont nous disposons déjà, cela explique en partie la répétition de nos erreurs);
- Les pauses, les temps où l’on fait autre chose, jouent un rôle dans la consolidation (sommeil, activités simples comme le coloriage, les anagrammes, l’activité physique…);
- Le cerveau est lent pour l’acquisition mémorielle et il faut lui donner le temps via des moments de ré apprentissage réguliers et espacés;
- La mémorisation active (je me pose la question; je cherche la réponse à la question; je reconstruis la réponse) est plus efficace que la mémorisation passive (lire, relire) : la mémorisation passive (qu’on peut assimiler à du bachotage) fonctionne seulement sur le court terme.
- Un cerveau entraîné est un cerveau où l’information circule vite grâce à la miellinisation de l’axone des neurones et à la connexion des neurones entre eux.
Des techniques basées sur les neurosciences cognitives appliquées à l’apprentissage
- En classe, ménager des micros séquences de mémorisation pendant les cours ou à la fin du cours
- Utiliser des logiciels de mémorisation pour les révisions – Anki à télécharger
- Insérer des encarts de mémorisation via un jeu de questions/réponses à l’intérieur des cours : les enseignants aménagent des espaces dans les cours avec des questions à gauche et des réponses à droite pour provoquer l’effort de reconstruction (mémorisation active). Les élèves cachent les réponses pour s’auto interroger. Les encarts de mémorisation peuvent également être affichés en classe ou distribués sur une feuille à part.
- Réviser les encarts de mémorisation régulièrement (lire la question et retrouver la réponse)
- Flécher les essentiels : hiérarchisation des priorités et fiches bilan
- Le rituel du “sac à souvenirs” comme systèmes de réactivation. Le sac à souvenirs contient des flash cards qui reprennent les éléments essentiels à retenir au cours de l’année scolaire. Cette technique reprend le principe de la réactivation répétée dans le temps nécessaire à la consolidation des connaissances à long terme. Par exemple, au début de chaque cours, les élèves sont interrogés sur deux ou trois cartes tirées au hasard par le professeur et écrivent la réponse sur une ardoise. On pourrait imaginer que le sac à souvenirs se baladent de classes en classes en collège et que les professeurs soient donc amenés à tirer des cartes qui ne concernent pas leur discipline.
- Feedback immédiat : quand la réponse vient rapidement après s’être posé la question, l’effet est plus efficace. Ainsi les enseignants gagneraient à corriger les évaluations tout de suite après en classe (plutôt qu’attendre une semaine ou la remise des copies)
- Faire fabriquer les questions autour des essentiels par les élèves (qui construisent leurs propres encarts de mémorisation)
- Prendre des notes sur un livre sous forme d’encarts de mémorisation
- Déterminer un calendrier de testing en fonction des échéances (examens, contrôles, évaluations, concours…)
Pour savoir si une information est utile et donc digne d’être conservée en mémoire, le cerveau fonctionne ainsi :
– je revois une information 2 fois (ou plus) dans les 24 heures, cette information est utile, je la conserve en mémoire 1 semaine
– je revois une information 2 fois (ou plus) au bout d’1 semaine, cette information est vraiment utile, je la conserve en mémoire 1 mois
– je revois une information 2 fois (ou plus) au bout d’1 mois, cette information est vraiment utile, je la conserve en mémoire 6 mois
Afin d’avoir moins d’efforts à faire pour récupérer une information en mémoire, il vaut donc mieux la relire dans les 24 heures.
Les méthodes de testing pour rappeler à la conscience une information présente dans les réseaux de la mémoire peuvent prendre des formes variées :
– rappel libre (question globale qui nécessite de rappeler les informations, les référents, de les hiérarchiser, de les organiser)
– rappel par indices (photo…)
– rappel par reconnaissance (quizz, QCM…)
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Sources : conférence de Jean-Luc Berthier et Apprendre avec les neurosciences (Pascale Toscani – éditions Chronique Sociale)