“Les enfants sont méchants entre eux” : une croyance qui fait le lit du harcèlement à déconstruire
“Les enfants sont méchants entre eux” : une croyance qui fait le lit du harcèlement à déconstruire
Affirmer que les enfants sont méchants entre eux, c’est accepter le fait qu’ils excluent les enfants “différents”
Dans son livre Une éducation bienveillante et efficace !, Laurence Dudek, psychothérapeute, déconstruit l’idée selon laquelle “les enfants sont méchants entre eux”. Elle affirme que cette croyance est comme l’arbre qui cache la forêt.
Affirmer que les enfants sont méchants entre eux, c’est accepter le fait qu’ils excluent les enfants “différents”, “trop ceci”, “pas assez cela” sans que cela mérite une remise en question des adultes quant au modèle des interactions humaines qu’ils proposent aux enfants. Au prétexte qu’il serait “normal” que les enfants soient méchants entre eux, que ce ne serait pas si grave que cela, que ce sont seulement des enfants, que cela passera avec l’âge, on traite les symptômes (et encore, quand les cas de harcèlement ne sont pas mis sous le tapis) mais pas la cause (c’est-à-dire la manière de traiter les enfants dès le plus jeune âge et la manière dont est organisée l’école).
Ce serait donc “normal” que les enfants mettent à l’écart un enfant différent des autres (qu’il soit plus petit, plus gros, plus maigre, plus intelligent, habillé différemment, avec un accent, un problème d’élocution, une couleur de peau différente du plus grand nombre, des marqueurs sociaux hors normes, ou parfois même seulement par le fait d’arriver nouvellement dans une école ou dans une ville). Or cette mise à l’écart est le premier pas vers les moqueries, les invectives et, au sommet, les violences psychologiques (ex : cyberharcèlement) et physiques.
Laurence Dudek estime que cette croyance en la nature agressive renforce les comportements violents des enfants en les considérant comme inévitables. Non seulement elle stigmatise les enfants mais elle déresponsabilise également les adultes et les institutions (et cela mène à toujours plus de répression plutôt que de changement de paradigme).
Les racines de la violence : ce sont les adultes qui montrent l’exemple
La psychothérapeute regrette que les racines de cette violence de la part des enfants (qui existe sous forme d’exclusion, de moquerie, d’humiliation, d’agression physique…) soit le résultat d’une injonction inconsciente que reçoivent tous les enfants et les adolescents de la part des adultes : forcer les autres à se conformer et à obéir et utiliser la violence comme moyen légitime, autorisé d’y parvenir. Quand la violence est vue comme normale par les adultes pour “éduquer” les enfants, les enfants reçoivent le message cinq sur cinq : la violence est légitime et autorisée.
Les enfants qui subissent des violences éducatives (y compris dites ordinaires comme les lignes à copier, les punitions ou le coin) font bel et bien des apprentissages mais pas forcément ceux qu’on attend d’eux :
- ils apprennent à avoir peur des adultes en général et en particulier des personnes en qui ils sont supposés avoir confiance et auprès desquelles ils devraient pouvoir trouver protection et soutien (notamment les parents et les enseignants),
- ils apprennent à avoir mal, à s’endurcir et à ne plus faire confiance à leurs sensations et leurs émotions qui sont pourtant des boussoles internes utiles ,
- ils apprennent, par imitation, à utiliser la violence sur les faibles et les petits (et les personnes différentes donc),
- ils apprennent à confondre l’amour et la violence, à les voir comme compatibles (aimer et faire du mal, être aimé et être victime),
- ils apprennent à avoir peur des punitions ou à chercher les récompenses plutôt qu’à développer un sens de l’éthique et un sens de la responsabilité individuelle (être contraint, c’est ne pas réfléchir),
- ils apprennent à éviter les conséquences fâcheuses pour eux sans prendre en conséquence celles qui touchent les autres (ou l’environnement),
- ils apprennent à mentir et à se cacher (la sagesse populaire ne nous dit-elle pas à juste titre : “Quand le chat n’est pas là, les souris dansent”).
Ce n’est pas la différence en elle-même qui engendre cette violence du groupe envers celui qui « dépare » mais le manque d’empathie, chez les enfants qui n’ont pas appris l’empathie parce qu’on ne tient pas compte de leurs propres émotions entre autres, ainsi que la rigidité des consignes qui leur sont imposées (par l’éducation en général : parents, école, hiérarchie sociale… le tout porté insidieusement par la télévision et les médias en général) pour les contraindre à répondre aux normes imposées au groupe. – Laurence Dudek
Ainsi, si l’environnement global des enfants et des adolescents n’était pas aussi porteur de violences et de compétition, probablement que l’idée selon laquelle les enfants sont par nature méchants entre eux ne nous effleurerait même pas l’esprit.
Ce qui peut expliquer les comportements agressifs des enfants
Un cerveau immature
Ce qui est vrai en revanche est que le cerveau des jeunes enfants est immature et fragile, si bien que les jeunes enfants (avant 5/6 ans) ne peuvent pas réguler leurs émotions. Leur cerveau “qui réfléchit” n’est pas assez développé pour pouvoir réguler les émotions et les comportements impulsifs : les adultes peuvent alors servir en quelque sorte de cerveau de secours en offrant de l’empathie à l’enfant (“oui, c’est difficile d’attendre son tour/ c’est vrai que c’est frustrant/ tu aimerais tellement pouvoir l’avoir tout de suite/ tu es en colère contre A. parce qu’il a… alors que toi, tu avais envie de…).
Une tendance humaine innée à coopérer… petit à petit influencée par le processus de socialisation
Par ailleurs, Michael Tomasello, un psychologue cognitiviste américain et auteur du livre Pourquoi nous coopérons (éditions Presses Universitaires de Rennes), explique que les jeunes enfants ont des prédispositions à la coopération et que ces prédispositions sont façonnées par la socialisation.
Tomasello a montré qu’autour de leurs premiers anniversaires (quand ils commencent à marcher, à parler et à devenir des êtres de culture), les enfants humains sont déjà coopératifs et serviables dans de nombreuses situations (mais pas dans toutes). Or ils n’ont pas appris cette tendance à coopérer des adultes : elle leur vient naturellement.
Par exemple, des enfants de 18 mois sont amenés à regarder passivement un adulte qui range des magazines dans un placard. Ensuite, dans un deuxième temps, l’adulte a du mal à ouvrir les portes parce que ses mains sont encombrées de magazines et l’enfant étudié l’aide à les ouvrir. Puis, ayant compris le processus, l’enfant, lors de la troisième phase, anticipe : il ouvre la porte par avance, ce qui aboutit à la création d’une activité collaborative consistant à ranger les magazines. Dans certains cas, l’enfant indique même à l’adulte où mettre les magazines (à l’aide d’un geste de pointage).
Cette tendance innée à coopérer est graduellement influencée par divers facteurs (tels que le jugement que les enfants forment sur la réciprocité potentielle qu’ils vont obtenir ou encore leur préoccupation de la manière dont ils sont jugés par les autres personnes de leur groupe). En grandissant, les enfants humains commencent à internaliser plusieurs normes sociales spécifiques de leur culture telles que la manière dont on fait les choses, dont on doit faire les choses pour devenir un membre du groupe.
Certes, les enfants possèdent des prédispositions à la coopération mais ces prédispositions sont façonnées par le processus de socialisation (à partir de 3 ans).
Notre responsabilité d’adulte : reconnaître la nature juste des enfants
Ainsi, nous comprenons que c’est notre responsabilité de reconnaître la nature aimante et juste de les enfants pour la nourrir et la cultiver.
Plus la compétition est mise en œuvre institutionnellement, dans les structures sociales où les enfants sont mis en concurrence (par un système de récompenses, de notations, de comparaison, de classement, etc.), plus la violence se répercute sur leurs comportements.- Laurence Dudek
Il existe des écoles qui ont complètement changé de paradigme pour prendre en compte les besoins des enfants et leur fournir des ressources en termes de résolution de conflit. C’est notamment le cas des écoles démocratiques. Ces livres peuvent aider à comprendre en quoi consiste ce changement de paradigme et comment fonctionnent les écoles démocratiques :
A penser et faire autrement dans le système scolaire classique : L’impasse de la punition à l’école : pourquoi punir est-il inefficace et nocif ? comment faire autrement ?
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Une éducation bienveillante et efficace ! de Laurence Dudek (éditions First) est disponible en centre culturel, en librairie ou sur internet.
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