L’impasse de la punition à l’école : pourquoi punir est-il inefficace et nocif ? comment faire autrement ?

L’impasse de la punition à l’école

L'impasse de la punition à l'école _ comment faire autrement _

La marotte du laxisme

Dans leur livre L’impasse de la punition à l’école, Éric Debarbieux et un collectif d’auteurs décortiquent les pratiques répressives utilisées dans le cadre scolaire (élémentaire et collège), expliquent en quoi la discipline répressive punitive est à la fois inefficace et nocive et quelles stratégies pédagogiques et relationnelles peuvent enclencher un cercle vertueux de réduction de la violence.

Éric Debarbieux, professeur émérite de sciences de l’éducation à l’université Paris Est Créteil, dénonce, à l’aide de chiffres et statistiques, l’idée facile selon laquelle le laxisme est aux commandes dans le système éducatif (et que ce laxisme serait à l’origine de tous les problèmes de la jeunesse et de nos faibles résultats au test PISA par exemple). Il estime que les critiques criant au laxisme ambiant trouvent leurs racines dans mai 68. Dénoncer les libertés prônées par l’esprit de mai 68 fait l’audimat des émissions politiques et la solution miracle serait de revenir à la tradition, aux bonnes vieilles méthodes qui ont fait leur preuve (parce qu’elles sont vieilles, elles sont forcément bonnes pourrait-on même dire).

Toute idée osant interroger la pertinence de la bienveillance plutôt que la répression, de la coopération plutôt que la compétition, de la réparation plutôt que la punition, de l’élève au centre plutôt que le maître au centre  est envisagée comme “un abominable abandon des savoirs”… comme si acquisition des savoirs et bientraitance étaient incompatibles !

Des chiffres qui démentent l’image du laxisme ambiant

Éric Debarbieux rapport les résultats d’enquêtes quantitatives et d’interventions de terrain menées par le projet ADHERE en France (échantillon de 7 945 élèves interrogés du CE2 au CM2 dans l’académie d’Aix-Marseille, de Lille, de Créteil, de Paris et de Lyon et de 8 921 élèves de collèges interrogés dans 35 REP). Ces résultats montrent que la réalité des élèves est très loin de cette légende urbaine du laxisme scolaire.

Ainsi, au niveau du primaire, les punitions apparaissent fréquentes et répétées pour un nombre non négligeable d’élèves. Ce sont environ six élèves sur dix qui ont été punis, dont plus d’un sur quatre l’ayant été trois fois ou plus. Les punitions ne sont pas rares et peuvent être répétées dès l’élémentaire.

Au collège, les deux tiers des élèves déclarent avoir été punis et plus du quart plus de quatre fois. Ce sont en particulier trois fois plus de garçons que de filles qui déclarent avoir été punis plus de quatre fois.

Près de la moitié des élèves ont été mis en retenue au moins une fois. Un sur cinq a eu des lignes ou de la copie. 8,3  % disent avoir été exclus temporairement de leur établissement et un élève sur cinq déclare avoir été exclu de cours.

Quantitativement, là encore, ce n’est certainement pas une image de laxisme qui se détache.

 

Des pratiques quotidiennes dans presque tous les établissements scolaires de France alors qu’elles sont contraires aux directives légales

Éric Debarbieux rappelle une circulaire du 15 juillet 1890 qui stipulait déjà à l’époque que la discipline répressive est mauvaise, maladroite et bornée et qu’elle n’avait pas droit de cité dans les maisons d’éducation. On pouvait y lire que les punitions sacrifient “tout l’avenir à la sécurité du moment présent”. A cette époque aussi bien que maintenant, la discipline punitive se “satisfait de l’ordre apparent qu’elle obtient et ne sait pas ou ne veut pas voir le désordre profond qu’elle tolère, moins encore celui qu’elle crée”.

Ce principe d’interdiction de la discipline répressive et punitive a été réaffirmé plusieurs fois dans le temps par des textes de lois et des directives émanant du Ministère de l’Education mais il continue d’être ignoré et bafoué en pratique dans la plupart des établissements scolaires français.

Debarbieux remarque par exemple que l’expérience de l’exclusion temporaire est quotidienne dans la plupart des collèges de l’échantillon cité par Éric Debarbieux. Pourtant, les textes appellent régulièrement à un usage «  exceptionnel  » de cette mesure.

Éric Debarbieux utilise même l’expression de “collège fantôme” : avec son équipe, il a projeté le nombre d’exclusions mesuré à partir de l’échantillon sur l’équivalent du nombre de collèges de certains des départements de ce même échantillon (120 collèges). Le volume d’élèves temporairement exclus avoisine certains mois l’équivalent en nombre d’un collège entier à la porte. Étonnant dans un pays qui insiste sur l’instruction obligatoire (confondant souvent scolarisation et instruction, faisant fi de l’instruction en famille) et ayant même étendu l’instruction obligatoire à 3 ans récemment… et voulant la passer à 18 ans au lieu de 16 ans actuellement.

Pourtant, l’efficacité d’une telle mesure a été largement contestée par la recherche, plusieurs travaux faisant la démonstration d’une aggravation du décrochage scolaire (et social) pour les élèves exclus les plus fragiles.

 

Pourquoi le recours aux punitions et à la discipline punitive continue-t-il d’être massif alors même qu’il est découragé par les directives légales et inefficace dans les faits ?

La discipline punitive et répressive continue d’être massivement utilisée à la fois par les professeurs des écoles, par les professeurs du secondaire, par les CPE et les chefs d’établissement (et par les personnels hors enseignants comme les ATSEM, les personnels de périscolaire ou de cantine) pour plusieurs raisons ;

  • son efficacité à court terme (la source du problème disparaît mais seul le symptôme est traité, pas la source du mal),
  • son faible coût (former les enseignants à la relation, à la communication bienveillante, à la discipline positive, à la pédagogie coopérative aurait un tout autre coût,)
  • la volonté de ne pas remettre en cause l’ordre symbolique d’une institution affaiblie (celui ou celle qui punit ne le fait pourtant pas par autorité mais montre un défaut d’autorité et une impuissance),
  • la souffrance des personnes qui y ont recours et leur absence de formation pour faire autrement,
  • une croyance bien ancrée dans le fait qu’il faut souffrir pour comprendre et apprendre (mais les faits sont têtus : comment expliquer par exemple que plus de 80% des parents admettent mettre des fessées à leurs enfants et, en même temps, crient au laxisme pour expliquer la montée de la violence ? et si c’était l’inverse, si la violence et le manque de respect subis par les enfants entraînaient leur propre violence ? et si les adultes portaient la responsabilité de la qualité de la relation ? et si c’était l’environnement proposé qui était contraire à la nature humaine et aux besoins de l’enfant ? ).

 

Quels sont les méfaits de la discipline punitive et répressive ?

L’usage routinier de la punition est inefficace, puisque les mêmes élèves sont souvent à nouveau punis (ils n’ont donc pas appris à se comportement autrement grâce à la punition) et que le recours à la punition est massif (si les punitions éduquaient, il y a belle lurette que l’espèce humaine n’y aurait plus recours puisque tous les humains auraient compris la leçon…).

Dans le cas de l’exclusion temporaire, même les élèves « ordinaires » non exclus sont impactés (être simplement témoins de punitions et d’exclusion joue sur le niveau de stress).

Debarbieux écrit que le problème reste que répondre à la violence par la seule répression, par une inflation punitive ne résout pas le problème mais l’augmente, et en particulier augmente la construction viriliste à la base de ces violences. La punition au collège participe à «  la fabrique des garçons  » (expression de Sylvie Ayral, docteure en sciences de l’éducation). Les garçons, majoritairement plus punis que les filles, développent leur virilité en étant punis à répétition. Sylvie Ayral parle de «  médailles de virilité  » pour décrire les punitions et exclusions («  plus je suis puni, plus j’en ai  »).

Ainsi, la question se résume trivialement  à : «  X.   est vraiment dur  ! –  Qu’est-ce que tu as fait  ? Je l’ai collé. Ça a arrangé les choses  ? Non, je l’ai collé deux fois –  Ça va mieux  ?  – Non –  Alors  – Je l’ai collé une troisième fois et c’est pire  ! –  Qu’est-ce que tu vas faire  ?  – Je vais le coller….  ». Il n’y a pas de bonne façon de faire quelque chose qui ne fonctionne pas…

Les auteurs du livre L’impasse de la punition à l’école jugent urgent de penser autrement le problème de la discipline pour pouvoir agir autrement dans les faits.

 

Quelles solutions pour faire sans punition à l’école ?

Debarbieux estime que ces solutions doivent être pédagogiques et éducatives, et non pas passer par de la vidéo surveillance ou plus de contrôle.

Il rappelle en effet que la violence en milieu scolaire est rarement une violence d’intrusion ou le fait d’éléments extérieurs.

Qu’on le veuille ou non, la relation pédagogique est au cœur du problème. 

Les auteurs du collectif sont persuadés que, comme le soulignait déjà Fernand Oury  : «  la parole est pouvoir  ». Ils proposent donc de redonner la parole aux élèves en s’appuyant sur le groupe, la coopération et le respect mutuel. Ils rejettent par là en bloc le retour à l’uniforme, au salut au drapeau, à l’estrade et au silence (référence à peine voilée au réseau Espérance banlieue, soit dit en passant…).

Les expériences présentées ont des origines diverses :

Toutes les propositions évoquées ont été abordées d’une manière ou une autre et à un degré ou un autre sur le blog.

Je vous propose ci-dessus quelques liens pour creuser le sujet en complément du livre que je vous recommande chaudement afin de changer de paradigme au sujet de la discipline.

Les expériences présentées dans le livre sont toutes issues du terrain et on ne peut pas faire la critique aux auteurs d’être restés dans leur tour d’ivoire théorique : ils sont allés mettre les mains dans le cambouis et montrent que, oui c’est possible de passer de la discipline punitive à la discipline coopérative et à l’éducation émotionnelle.

Ce changement de paradigme se fait au bénéfice de tous : enseignants, élèves (les violents et les autres qui veulent travailler dans un climat sécurisé) , parents, personnel encadrant et, au final, la société toute entière puisqu’elle y gagne en régulation pacifique des conflits.

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Source : L’impasse de la punition à l’école : Des solutions alternatives en classe de Collectif (éditions Armand Colin). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.

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