La sursollicitation des enfants pose des problèmes de santé mentale : la vie requiert des moments sans temps visiblement “productif”

La sursollicitation des enfants pose des problèmes de santé mentale (même chez les tout petits et chez les premiers de la classe)

La sursollicitation des enfants pose des problèmes de santé mentale

Avec les discours anxiogènes au sujet du “retard” pris par les élèves et de la baisse de niveau général, nous pouvons être tentés de charger les enfants d’activités extra scolaires cette année et de soutien scolaire pour rattraper ce fameux retard et stimuler les enfants. Dans leur livre Le Cerveau qui dit oui, Daniel Siegel et Tina Payne regrettent que de plus en plus d’enfants soient touchés par l’anxiété. Cette anxiété peut toucher tous les enfants, à la fois les enfants qui “réussissent” à l’école comme ceux qui sont en décrochage scolaire.

Siegle et Payne voient dans cette hausse des problèmes de santé mentale chez les enfants une conséquence de l’exigence de résultats dès la toute petite enfance (d’ayant plus marquée en ces temps de crise sanitaire et économique). Avec la peur pour le futur et l’importance de l’école dans la mobilité sociale, beaucoup d’enfants subissent de la pression, plus ou moins formalisée, pour être à la hauteur des attentes de leur famille et des autres (enseignants, entraîneurs sportifs, professeurs de musique…), au lieu d’être une période de développement et d’exploration sans contrainte. Ces enfants finissent par se sentir anormaux, en “inadéquation“, épuisés, jamais à la hauteur plutôt que vivre dans la joie profonde de simplement être, découvrir et apprendre (y compris les premiers de la classe).

Même si certains parents regrettent la trop grande masse de devoirs donnés à leurs enfants et déplorent l’emploi du temps surchargé, il est difficile d’aller à contre courant par peur de la précarité future, par peur de la déchéance sociale, par peur du regard des autres sur leurs compétences parentales ou du rejet de l’enfant par ses camarades par son côté atypique. De plus, rappeler à un enseignant en élémentaire que les devoirs écrits sont interdits en primaire n’est pas toujours facile et les parents peuvent craindre des représailles sur l’enfant.

Des bonnes raisons de sursolliciter les enfants : chaque parent veut le meilleur pour son enfant !

Siegel et Payne rappelle qu’au-delà d’une quantité limitée, les devoirs n’ont d’autres effets que de priver les enfants de temps de loisir, de temps libre et de sommeil. Tout parent aimant est guidé par de bonnes raisons de se soumettre à ce rythme et cette pression (pression pour les bonnes notes, heures de soutien scolaire, activités extrascolaires, sorties culturelles imposées sans souci pour les goûts particuliers de l’enfant, comparaison avec les autres, veille jusqu’à une heure avancée, non prise en compte de la fatigue ou des douleurs physiques dans le cas de la pratique sportive par exemple…).

Ces parents veulent pourtant le meilleur pour leur enfant et ils craignent que ce dernier soit le seul à ne pas tenir le rythme, à ne pas bénéficier des mêmes atouts que les autres, à voir des options se fermer pour l’orientation future. On peut lire le témoignage d’un père qui exprime cette dissonance : “Je sais bien ce que dit la recherche et j’aimerais pouvoir moins en demander à mon fils. Mais soyons réalistes, ce serait faire un pari sur son avenir et je n’ai pas envie de jouer avec ça.”.

La dictature des signes extérieurs de réussite les empêche de découvrir ce qui a du sens et ce qui est important pour eux. Au lieu d’aimer apprendre, de se sentir grandis par ce qu’on leur enseigne et d’avoir l’occasion de faire leurs apprentissages dans les meilleurs conditions pour eux, c’est-à-dire par l’exploration et le jeu, beaucoup d’élèves se sentent aujourd’hui oppressés et submergés par ce qu’ils vivent en classe et par leurs activités extrascolaires. Cette survalorisation des motivations externes met en danger la vie de famille et étouffe la flamme intérieure, garante de la curiosité, de la créativité et l’envie d’apprendre. – Daniel Siegel et Tyna Paine

De quoi les enfants ont-ils vraiment besoin ?

Prendre en compte les besoins affectifs 

Pourtant, paradoxalement, s’engager dans cette voie de la surstimulation n’apportent pas aux enfants ce dont ils ont réellement besoin. Au-delà de repos en quantité suffisante, les enfants ont besoin de vivre des expériences plaisantes avec leurs parents qui nourrissent les besoins affectifs : jouer, lire des histoires ensemble, sortir dans la nature, cuisiner, bricoler, jardiner, simplement discuter, se reposer, dans un état d’esprit “slow life”. Or quand les enfants sont soumis à la pression scolaire et extrascolaire pour exceller dans un domaine, qu’il soit artistique, sportif, scolaire ou autre, alors il ne reste plus de temps ou de place pour le jeu libre, l’imagination, l’exploration, la divagation des pensées en rêverie, le repos ou le contact avec la nature – tout ce qui conduit à la paix et à la joie intérieure, à la santé tant mentale que physique.

Résister à la brutalité temporelle

On peut parler de brutalité temporelle quand le rythme quotidien empêche les membres de la famille non seulement de passer du temps  en quantité mais également en qualité. S’y l’on n’y prend pas garde, le temps passé en famille peut se réduire à des “temps d’action” : certes, on est présent aux côtés des enfants pour les faire manger, les emmener à l’école, suivre les devoirs, leur faire prendre le bain…mais y-a-t-il du temps et de l’espace pour des gestes tendres, lents, nourrissants l’âme ? On peut lire dans certains magazines que ce n’est pas la quantité de temps passé avec les enfants, que ce serait plutôt la qualité mais, si on y réfléchit bien et qu’on transpose la situation à la relation de couple, accepterions-nous aussi facilement cette allégation : “ce n’est pas grave si vous ne passez pas beaucoup de temps avec votre conjoint, parlez 10 minutes chaque soir avec lui et cela suffira à remplir son réservoir affectif (et le vôtre)” ?

Tina Payne rapporte une anecdote personnelle où elle s’est vue “piégée dans la rigidité de la course à la réussite“. Un jour, son fils de 2 ans s’est retrouvé fasciné par une pile de gobelets en plastique juste au moment de partir pour un atelier d’éveil musical. Tina a ressenti de l’agacement car ils allaient être en retard pour l’atelier et qu’elle allait devoir batailler avec lui pour qu’il abandonne ce jeu bien moins “utile” qu’un atelier d’éveil musical… Pourtant, la mère est revenue à ses esprits et a réalisé que son fils était déjà en train de faire quelque chose d’utile et s’est assise à côté de lui sur le tapis pour le rejoindre dans son jeu, oubliant l’activité musicale cette fois-ci.

Nous admettons volontiers avoir manqué de nombreuses occasions comme celles-ci avec nos enfants. Cela arrive à tous les parents. Soit on n’a pas le temps de prêter attention à leurs besoins au bon moment pour explorer ce qui les intéresse et partager avec eux l’excitation de la découverte. Soit on travaille tellement à leur “enrichissement” qu’on en oublie d’être attentif à ce qui se passe vraiment en eux, ce qui signifie qu’on s’implique davantage à faire des choses qu’à être avec eux, ou à se demander ce dont ils ont réellement besoin. – Siegel et Payne

La vie requiert des moments sans temps visiblement “productif”

Nous avons parfois tendance à oublier que prendre le temps de faire ses lacets, le temps de manger son petit déjeuner, le temps de dessiner, le temps de marcher sans sa poussette, le temps de dire au revoir à ses amis à la sortie de la garderie ou de l’école, le temps de se faire un câlin… est essentiel pour les enfants. La vie requiert des moments “sans temps” comme par exemple : lire pour le simple plaisir de lire, pas pour remplir une fiche ou faire un résumé. Le temps ne doit pas toujours être organisé, rentabilisé, utile ou éducatif. Les temps visiblement “non productifs” sont essentiels pour consolider les apprentissages et simplement vivre. Il existe des zones cérébrales qui s’activent seulement quand on ne fait rien, quand on n’a pas d’activités intentionnelles. C’est le “réseau par défaut“. Chaque fois que notre cerveau est au repos, il se passe quelque chose :

– des souvenirs de vie sont traités

– plusieurs expériences sont mises en corrélation

– le cerveau donne du sens à ce qui a été vécu.

Les enfants ont des besoins affectifs et émotionnels, au-delà des besoins physiologiques et des contraintes scolaires. Ils ont besoin d’être simplement, parfois seuls, parfois avec leurs amis, parfois avec leur famille, sans rien « faire » de particulier, mais juste pour rêvasser, jouer, rire ensemble, parler de manière informelle de tout et rien…

Prendre conscience de ce qui nous mène à la conformité sociale et à la sursollicitation des enfants

Plus les enfants grandissent, plus il est tentant de les saturer d’heures de violoncelle, d’entraînement de volley ou de cours de soutien supplémentaires, en ignorant leur besoin fondamental d’être simplement des enfants et de passer du temps à jouer au rythme qui leur convient. Le risque est que toutes ces activités finissent par être contreproductives pour le corps et le psychisme des enfants. Certains psychologues parlent même de burnout des enfants en lien avec cet épuisement. Aline Nativel Id Hammou, psychologue clinicienne française, parle quant à elle de charge mentale des enfants. Elle avertit que l’excès de stimuli peut avoir l’effet inverse à celui escompté : l’enfant a trop à gérer, identifier, analyser, mémoriser et catégoriser, ce qui provoque une surcharge globale qui peut mener à la saturation.

Siegel et Payne parlent d'”obstacles à la découverte, à la croissance, à la motivation, au bonheur et à la compréhension de soi”. De nombreux enfants en viennent à détester une pratique qui leur plaisait pourtant et pour laquelle ils auraient été doués et enjoués dans d’autres circonstances, avec moins de pression ou de compétition, juste dans le plaisir de la pratique.

Nous pouvons donc être attentifs à résister à ce qui nous mène, en tant que parents, à la conformité sociale et à la sursollicitation des enfants :

  • désir de revanche sociale à travers la réussite de l’enfant qui va gravir les échelons,
  • peur de la perte de statut sociale à travers l’échec de l’enfant dans ses études ou sa pratique sportive/ artistique,
  • l’envie de réaliser un rêve par procuration
  • peur du futur (chômage, précarité…).

Nous pouvons refuser la course aux signes extérieurs de réussite et au tourbillon de la performance à tout prix. Cela suppose de nous laisser guider par l’enfant juste tel qu’il est et de remettre en question la croyance populaire qui dit qu’il faudrait souffrir pour réussir ou que “quand on veut, on peut”.

Ce type d’enrichissement est une partie importante de la vie de nos enfants. Grâce au sport, à la musique et autre, ils développent des compétences sociales, de l’autodiscipline, de la confiance en eux-mêmes et un sentiment d’aptitude. Nous ne sommes pas non plus par principe contre les performances ou les bons résultats scolaires. Quand un enfant est passionné par une activité quelconque, il faut l’encourager dans cette direction. Mais il est également nécessaire de se poser les questions suivantes : “A quel prix ?” et “Cela fait-il plaisir à mon enfant ou à moi ?“. – Siegel et Payne

Garder en tête qu’il est inutile et nocif de vouloir accélérer le rythme d’apprentissage d’un enfant permet par ailleurs de déconstruire l’idéologie dominante selon laquelle il n’y a pas de gain ou apprentissage sans souffrance. Les apprentissages (de quelle que nature qu’ils soient, y compris physiques) sont plus efficaces et respectueux quand ils sont effectués dans la douceur et l’écoute de soi. Il n’y a aucune raison de souffrir pour apprendre, progresser et croître; il n’y a aucune raison de se faire mal pour avancer. L’idéologie No Pain No Gain n’a aucun fondement ni biologique ni psychologique mais seulement culturel et éducatif. Nous avons donc le pouvoir d’agir sur cette idéologie pour mettre l’accent sur la santé mentale et physique. Dans toutes les activités et à tout âge, l’effort juste est l’effort le plus productif pour la progression. Il peut y avoir progression et apprentissage sans souffrance. Comme l’effort fourni correspond parfaitement à ce qui est nécessaire pour progresser, on garde de l’énergie pour les autres aspects de la vie.

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Sources :

Le Cerveau qui dit oui : comment développer courage, curiosité et résilience chez votre enfant ? de Daniel Siegel et Tina Payne Bryson (éditions Les Arènes). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet. Commander Le Cerveau qui dit oui sur Amazon, sur Decitre, sur Cultura ou sur la Fnac

La charge mentale des enfants : quand nos exigences les épuisent de Aline Nativel Id Hammou (éditions Larousse). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet. Commander La charge mentale des enfants : quand nos exigences les épuisent sur Amazon, sur Decitre, sur Cultura ou sur la Fnac

 

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Pour rappel de la loi en France au sujet des devoirs écrits en élémentaire : 

La circulaire du 29 décembre 1956 (en application de l’arrêté du 23 novembre 1956) relative à la suppression des devoirs à la maison ne laisse pas d’ambiguïté sur la volonté du ministère de l’époque : « Aucun devoir écrit, soit obligatoire, soit facultatif, ne sera demandé aux élèves hors de la classe. Cette prescription a un caractère impératif et les inspecteurs départementaux de l’enseignement du premier degré sont invités à veiller à son application stricte ».

Plusieurs circulaires ont accompagné les modalités à donner au travail à la maison :

  • La circulaire du 6 septembre 1994

Cette circulaire précise clairement comme les précédentes l’interdiction des devoirs à la maison en ces termes : « Dans ces conditions, les élèves n’ont pas de devoirs écrits en dehors du temps scolaire. À la sortie de l’école, le travail donné par les maîtres aux élèves se limite à un travail oral ou des leçons à apprendre».

  • L’arrêté du 25 janvier 2002

Les fonctions essentielles du travail personnel donné à l’élève sont les suivantes :

  • Fixation de certains apprentissages, mémorisation ;
  • Liaison avec les familles ;
  • Développement de l’autonomie, de la responsabilité et du sens de l’organisation.

Au regard de ces finalités, la question de l’approche méthodologique est fondamentale. En effet, il est indispensable d’apprendre en classe aux élèves comment on apprend une leçon, une poésie, une table de multiplication, une définition, comment on prépare un exposé, comment on effectue une recherche documentaire… On doit apprendre à l’école à se passer de l’école, c’est là la règle. Et pour y parvenir, il faut d’abord faire à l’école, en étant très guidé, ce que, progressivement, on sera amené à faire – et même à évaluer – tout seul (Philippe Meirieu).

Après ce demi siècle d’évolution réglementaire à l’aune de l’inévitable renvoi aux inégalités sociales et familiales qui caractérise le travail de l’élève à la maison et son accompagnement, il est établi que les devoirs à la maison (et toutes formes de travail écrit) sont strictement interdits. Néanmoins, les enseignants peuvent donner des travaux oraux et des leçons à apprendre.

(source : « Les devoirs à la maison »par Philippe WOLF, Inspecteur de l’Education Nationale de la circonscription d’Oléron-Sainte-Marie)

Il en résulte qu’un enseignant en primaire peut donner à ses élèves :

  • un travail oral (lecture ou recherche par exemple),
  • des leçons à apprendre à la maison.

En France, aucun devoir écrit, soit obligatoire, soit facultatif, ne peut être demandé aux élèves de primaire en dehors de la classe. Même si cela peut sembler une position délicate, il est possible, en tant que parents, de refuser l’effectuation des devoirs écrits par les enfants en maternelle et dans les classes élémentaires (du CP au CM2).