Ce qu’on ne peut pas ne pas savoir sur le cerveau de l’enfant (enseignants, parents, professionnels de l’éducation)
Ce qu’on ne peut pas ne pas savoir sur le cerveau de l’enfant (enseignants, parents, professionnels de l’éducation)
Pour Stanislas Dehaene, psychologue cognitiviste et neuroscientifique, les adultes (et en particulier les enseignants) doivent maîtriser un bon modèle informatif et explicatif sur le fonctionnement du cerveau des enfants. Dans ses nombreux livres et conférences, il vise à donner aux enseignants un bagage de principes fondamentaux sur la plasticité cérébrale et les mécanismes de l’apprentissage humain. En revanche, il refuse de conseiller tel ou tel manuel, telle ou telle méthode : ces principes sont compatibles avec une grande liberté liberté pédagogique. Dans son idée, l’enseignant est un expérimentateur.
Pour Stanislas Dehaene, les connaissances autour du cerveau de l’enfant s’articulent autour de trois grands axes :
1. Ses compétences précoces : vision, langage, nombres, géométrie…
2.Ses programmes biologiques et ses algorithmes d’apprentissage
3.Le rôle du sommeil
1. Les compétences précoces
La nature du cerveau humain
Stanislas Dehaene rejoint les travaux d’Alison Gopnik (chercheuse en psychologie du développement). Pour eux, dès la naissance, le cerveau est organisé . Il contient des connaissances innées, mais aussi des algorithmes sophistiqués d’apprentissage.
Les bébés disposent à la naissance de beaucoup plus que de simples réflexes de base. Les chercheurs en psychologie du développement savent désormais que les plus jeunes bébés disposent de représentations du monde sous formes de symboles rappelant ceux des programmes informatiques. Ils reçoivent des « intrants » ou stimui du monde extérieur (les ondes sonores et lumineuses) et les transforment selon certaines règles en diverses représentations. Ces dernières conduisent aux extrants : les expressions du visage, les gestes et actions des bébés.
Ainsi, les bébés traduisent les informations reçues par les yeux et les oreilles en un monde plein de gens aux visages expressifs et aux voix captivantes.
Ces représentations conduisent les bébés à interpréter ce qui leur arrive d’une certaine façon (en faisant attention à certaines choses et en en négligeant d’autres). Elles permettent même au bébé de formuler des attentes et de faire des prévisions.
Ainsi, l’enfant dispose dispose d’intuitions non‐conscientes sur lesquelles l’enseignant peut et doit s’appuyer. L’apprentissage consiste en effet en une reprogrammation active et continue des programmes initiaux.
Implications pour un apprentissage efficace de la lecture
Stanislas Dehaene a déduit des données d’imagerie cérébrale effectuées sur les enfants que l’apprentissage de la lecture spécialise certaines aires du cortex visuel pour la reconnaissance des chaînes de lettres, et les relie aux codes des sons du langage.
Ce lien (le principe alphabétique) ne va pas de soi pour l’enfant. Un enseignement explicite des correspondances graphèmes/ phonèmes (lettres/sons) semble être la manière la plus rapide d’acquérir la lecture et la compréhension.
Une fois ces correspondances établies, un auto‐enseignement se produit: l’enfant déchiffre les mots, les reconnait dans son lexique oral et accède au sens – entraînant ainsi une seconde voie de lecture.
2. Les algorithmes d’apprentissage
Les enfants comme des “scientifique au berceau”
Dehaene cite Gopnik : l’enfant se comporte comme “un scientifique au berceau”.
Les bébés traduisent les informations reçues par les yeux et les oreilles en un monde plein de gens aux visages expressifs et aux voix captivantes.
Les représentations des bébés sont :
- riches,
- complexes,
- abstraites.
Les bébés se servent de ces représentations selon certaines règles.
Les représentations des bébés touchent au fait que leur propre visage ressemble à celui des autres humains, à la façon dont les objets bougent et à comment séparer les différents sons d’un langage.
Les bébés voient déjà l’âme sous la peau, ils entendent les sentiments derrière les mots. – Gopnik
Le cerveau dispose, d’emblée, d’un jeu d’hypothèses hiérarchiques, qu’il projette sur le monde extérieur, et dont certaines sont très abstraites (exemples: « le monde est constitué d’objets rigides »; « principe de causalité » ).
Il sélectionne ces hypothèses ou schémas mentaux en fonction de leur plausibilité au vu des expériences qu’il fait ou des entrées qu’il reçoit.
Nos expériences interagissent avec ce que nous savons déjà, augmentant ainsi nos connaissances, ce qui à son tour nous permet de faire de nouvelles expériences et de formuler et de tester de nouvelles prédictions, ce qui augmente notre savoir et ainsi de suite.
Dans chaque cas, ce que pensent déjà les bébés influence l’étape suivante de leur développement, déterminant ce qui va les intéresser, les problèmes auxquels ils vont s’attaquer, les expériences qu’ils vont mener, et même les mots qu’ils vont écouter. – Gopnik
L’attention, la récompense, l’erreur, la curiosité, le sommeil sont des éléments importants de cet algorithme encore imparfaitement compris.
Les 4 piliers de l’apprentissage
Je détaille ces quatre piliers dans cet article : Les 4 piliers de l’apprentissage d’après les neurosciences (ou comprendre comment nous apprenons)
Ici, je me concentre sur les implications de chacun de ces piliers pour l’enseignement :
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L’attention
Peut‐être le plus grand talent d’un enseignant consiste à canaliser et captiver, à chaque instant, l’attention de l’enfant.
L’enseignant doit créer des matériaux attrayants mais qui ne distraient pas l’enfant de sa tâche primaire.
Nous ne pouvons pas réaliser deux choses en même temps : la « double tâche » est un obstacle aux apprentissages, encore plus pour les enfants « dys » ou en difficulté.
La méditation, l’entraînement au contrôle moteur via des activités de motricité fine comme en pédagogie Montessori ou d’activité de motricité globale, la pratique d’un instrument de musique peuvent avoir des effets sur la capacité à rester concentré en présence d’une distraction distraction, à résister à un conflit cognitif.
Les conflits cognitifs sont liée à l’inhibition cérébrale. L’inhibition cérébrale est la capacité à contrôler ou bloquer nos intuitions, nos habitudes ou nos stratégies spontanées. L’inhibition est un processus qui se déroule dans le cerveau quand des groupes de neurones relâchent des hormones inhibitrices qui nuisent à l’activation d’autres neurones. la région en question a plus de mal à s’activer ou ne s’activera pas du tout.
L’inhibition est surtout en lien avec les apprentissages difficiles. L’apprentissage ne se fait pas de manière linéaire (on passe d’un niveau 1 à un niveau 2 puis à un niveau 3) car certaines erreurs sont persistantes et il est nécessaire de développer l’inhibition cérébrale chez les apprenants pour que ces erreurs persistantes n’émergent pas à nouveau.
Même les scientifiques doivent faire preuve d’inhibition (dont ils n’ont pas conscience) pour contrôler leur intuition que leur cerveau sait être fausse. Quand on apprend, une conception antérieure ne disparaîtrait jamais vraiment et c’est l’inhibition cérébrale qui prend le relais pour que la conception apprise puisse émerger face à la croyance.
Si apprendre, c’est aussi apprendre à inhiber des connaissances antérieures, on comprend mieux l’importance de « muscler » l’inhibition cérébrale pour dépasser les erreurs persistantes.
Steeve Masson, neuroscientifique spécialisé en éducation, propose quelques recommandations pédagogiques pour développer et renforcer l’inhibition cérébrale :
- il existerait un lien entre activité physique et inhibition.
- les personnes qui parlent deux langues (ou plus) couramment ont une capacité d’inhibition supérieure à la moyenne. Cet état de fait soutient l’idée d’un apprentissage précoce d’une langue étrangère.
- jouer à des jeux de contrôle permettrait de développer les mécanismes d’inhibition cérébrale (Jacques a dit, jeu des chaises musicales, jeu de la statue quand la musique s’arrête, 1 2 3 soleil…).
- prévenir les apprenants de l’existence de pièges et leur apprendre à les reconnaître favorise l’inhibition cérébrale.
- au delà de demander aux élèves de trouver les réponses justes, il serait pertinent de leur apprendre à identifier et trier les réponses pièges.
- comme les croyances fausses ne disparaissent jamais vraiment, les apprenants gagneraient à confronter leurs croyances et les connaissances apprises pas seulement au début d’une séquence d’enseignement mais à différents moments de l’apprentissage.
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L’engagement actif
Un organisme passif n’apprend pas. L’apprentissage est optimal lorsque l’enfant alterne apprentissage et test répété de ses connaissances. Cela permet à l’enfant d’apprendre à savoir quand il ne sait pas (métacognition).
Gopnik explique justement l’apprentissage dont sont capables les bébés par leur faculté à agir. Pour les bébés, il ne s’agit pas seulement d’apprendre passivement ce qui se passe dans le monde mais bel et bien d’y prendre une part active.
Les chercheurs en psychologie du développement rejettent l’idée selon laquelle l’évolution des humains serait exclusivement biologique (à l’image de la chenille qui devient papillon) ou culturelle (où les adultes ont les pleins pouvoirs dans l’influence du développement des enfants).
C’est le nombre d’auto évaluations et de tests des connaissances qui comptent dans la mémorisation à long terme, pas le temps d’étude.
Selon Steeve Masson, les stratégies les plus efficaces d’apprentissage et de révision consiste à poser et répondre à des questions, à placer l’élève en situation d’enseignement et d’interaction (c’est lui qui explique une notion à d’autres élèves qui lui posent des questions en retour).
La manière la plus efficace de récupérer des informations en mémoire serait de se poser des questions à soi-même.
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Le retour d’information
On a vu que notre cerveau utilise des programmes internes afin de générer des prédictions sur le monde extérieur. L’apprentissage se déclenche lorsqu’un signal d’erreur montre que cette prédiction n’est pas parfaite. On comprend qu’il n’y a pas d’apprentissage si tout est parfaitement prévisible.
Le signal d’erreur peut venir d’une correction explicite (enseignant) ou de la détection endogène d’un décalage entre prédiction et observation (surprise). Les signaux d’erreur se propagent dans le cerveau, sans que nous en ayons nécessairement conscience, et ajustent sans cesse nos modèles mentaux. – Dehaene
Dehaene en tire des conclusions pour les enseignants :
- L’erreur ou l’incertitude sont normales – elles sont même indispensables.
- Les erreurs ne doivent impliquer ni sanction ni punition. Les punitions ne font qu’augmenter la peur, le stress, et le sentiment d’impuissance.
- La motivation positive, le regard bienveillant et encourageant et la récompense intrinsèque (conscience de progresser, joie de comprendre)sont des leviers efficaces de l’apprentissage.
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La consolidation
Le point culminant d’un apprentissage est le” transfert de l’explicite vers l’implicite” : c’est l’automatisation des connaissances et procédures. Cette automatisation passe par la répétition et l’entrainement. Elle permet de libérer de l’espace dans le cortex préfrontal afin d’absorber de nouveaux apprentissages.
Les neurones doivent s’activer à de nombreuses reprises pour se connecter et renforcer leur connexion. La répétition est nécessaire, pas seulement au moment de l’apprentissage en question mais tout au long de l’année. Le cerveau oublie vite les éléments appris s’ils ne sont pas remobilisés régulièrement. Si les neurones s’activent à plusieurs reprises, ils peuvent consolider leurs inter-relations et favoriser l’acquisition de l’apprentissage.
Il est essentiel de répéter une connaissance nouvellement acquise :
- pour mémoriser une information, notre cerveau a besoin de trois passages au minimum,
- pour intégrer une nouvelle habitude, il a besoin de 21 jours.
Il est nécessaire de distribuer l’apprentissage tous les jours !
3.L’importance du sommeil
Le sommeil fait partie intégrante de notre algorithme d’apprentissage.
Rosa Jové, pédopsychiatre spécialiste du sommeil des enfants, explique que l’humain naît avec un cerveau immature et, en parallèle, un appétit pour comprendre et apprendre qui va justement permettre au cerveau de maturer.
Le sommeil paradoxal aide à réorganiser le cerveau (la mémoire et les processus d’apprentissage). On a même remarqué que le sommeil des bébés entre 0 et 3 mois débute directement en phase paradoxale : les cycles courts de sommeil permettent d’atteindre les objectifs de maturation du cerveau efficacement chez les nourrissons.
L’amélioration du sommeil peut être une intervention très efficace, notamment pour les enfants avec troubles de l’attention.
Conclusion
En conclusion, on peut dire comparer le cerveau des bébés et des enfants à un ordinateur mais beaucoup plus puissant et d’une nature évolutive, dont le moteur est émotionnel. Alison Gopnik parle de “ordinateurs biologiques”.
L’école doit fournir à ces « supers‐ordinateurs » un environnement enrichi et un enseignement structuré et exigeant (tout en étant accueillant, bienveillant, et tolérant à l’erreur).
Les ordinateurs biologiques que sont les bébés et les enfants sont conçus pour fonctionner comme éléments d’un réseau social complexe. La quantité et la qualité des interactions sont primordiales (enfants/enfants et adultes/enfants).
L’interaction entre enfants et adultes est aussi naturelle et profondément enracinée que nos autres composantes. – Gopnik
Il est important de garder en tête que les choix pédagogiques effectués par les enseignants et leur manière d’être (montrer le bon exemple dans le cadre de l’imitation sociale, créer un climat générateur d’émotions positives) peuvent avoir un impact sur les modifications structurelles du cerveau.
Les orgasmes sont la garantie que nous continuerons à avoir des relations sexuelles, et notre joie à comprendre est la garantie que nous continuerons à essayer de bâtir des théories plus justes. En matière d’évolution, comprendre le monde, comme avoir des rapports sexuels, nous donne un avantage sur le long terme. Les désirs et motivations transforment cet avantage lointain en motivations immédiates. – Gopnik
Les bébés et les enfants sont conçus pour prendre un plaisir intense à la compréhension. Il s’agit pour les enseignants d’accompagner ce plaisir de comprendre, d’en favoriser l’émergence et de ne surtout pas l’étouffer ou le faire disparaître (via des punitions, des récompenses extrinsèques type gommettes ou bons points, des classements ou comparaisons…).
Du fait de la plasticité neuronale (la capacité à se réorganiser et à créer de nouveaux programmes), le cerveau change au cours de l’apprentissage et l’enseignant peut influencer les effets de l’apprentissage sur l’architecture du cerveau .
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Sources :
Les grands principes de l’apprentissage de Stanislas Dehaene
Comment pensent les bébés de Alison Gopnik
Mieux connaître le cerveau pour mieux enseigner (4/5) – inhibition cérébrale et apprentissage des sciences de Steeve Masson
Le sommeil des enfants de 0 à 3 mois de Rosa Jové