Comment repenser les notes pour prévenir le décrochage scolaire ?
Comment repenser les notes pour prévenir le décrochage scolaire ?
Quels sont les inconvénients des notes dans le système scolaire ?
Dans son livre Décrochage scolaire : Anticiper et franchir les obstacles, Frédérique Weixler, inspectrice générale de l’Education Nationale, écrit que de nombreux enseignants se posent des questions autour de l’évaluation et des notes. Une question récurrente porte sur la suppression des notes, sur l’évaluation par compétences ou encore sur la mise en oeuvre de modèles hybrides.
Frédérique Weixler rappelle que la recherche a fait connaître les incohérences et approximations des notations (Merle, 2007 et Antibi, 2003). Pour elle, il est important de ne pas sacraliser la note, sans opter non plus pour un relativisme qui peut être déstabilisant à la fois pour les enseignants et pour les élèves car la note est un repère auquel tous sont habitués. Dans les représentations communes, elles permettent aux élèves de se situer par-rapport aux autres, de savoir s’ils ont bien travaillé ou pas, s’ils ont compris, s’ils ont le niveau pour atteindre telle ou telle filière; pour les enseignants, les notes permettent de classer les élèves, de repérer les élèves en difficultés, d’évaluer ce qui est compris ou pas.
Stanislas Dehaene, neuroscientifique et auteur du livre Apprendre !, liste quelques inconvénients des notes :
- Un manque de précision
- Des effets négatifs sur la motivation
- Une ambiance génératrice de stress
- Un esprit de compétition nocif
- Le risque d’un état d’esprit fixe, centré sur les résultats plutôt que sur les apprentissages, les efforts, les stratégies et les solutions trouvées face aux erreurs.
- Des incitations à tricher (avoir une bonne note primant sur le fait d’apprendre par essai-erreur) : Vous voulez supprimer la tricherie ? Supprimez les raisons de tricher ! (Bernard Collot)
Les effets du stress ont été particulièrement étudiés dans le domaine des mathématiques, “championnes mondiales de l’anxiété scolaire” comme l’écrit Stanislas Dehaene.
En cours de mathématiques, certains élèves souffrent d’un authentique mal-être proche de la dépression parce qu’ils sont complètement découragés : quoi qu’ils fassent, ils seront sanctionnés par une note synonyme d’échec. Or le stress et l’anxiété nuisent à la faculté d’apprendre. De plus, une action (j’ai échoué) n’est pas une identité (je suis nul). Distribuer une mauvaise note en la présentant comme une sanction morale (tu n’as pas assez travaillé, tu es feignant) et comme une identité (tu es nulle, tu n’arriveras jamais à rien), c’est déclencher du stress et donc prendre le risque d’inhiber les progrès de l’enfant.
Pour aller plus loin : Neurosciences : la note à l’école, piètre retour sur erreur (Stanislas Dehaene)
Evaluer et noter ne sont pas synonymes.
Catherine Chabrun, enseignante Freinet, abonde en ce sens. Elle estime qu’une certaine idée de l’évaluation perdure de nos jours à l’école, empreinte de l’idée qu’évaluer, c’est contrôler et noter une performance.
Alors, on la quantifie, on mesure les écarts entre différentes performances; on recherche une conformité; on met au point des critères, des dispositifs. On compare, on fait des statistiques : les bons élèves, les bonnes classes, les bons établissements, les bons pays…
Dès la petite section de maternelle, l’école se charge de faire comprendre les règles de cette course au long cours : les mieux notés seront les mieux servis en termes de choix d’orientation, de diplôme et donc de valorisation sociale.
Cette vision traditionnelle de l’évaluation conduit inexorablement à juger un enfant comme bon ou mauvais, plutôt que de dire qu’il sait ou ne sait pas et de comprendre l’origine de ses difficultés. Dans les classes Freinet, les notes peuvent disparaître. Mais ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de notes qu’il n’y a pas d’évaluation. Les enfants ont besoin de montrer ce qu’ils ont produit ou créé, ont besoin de voir leurs efforts et leur travail reconnus par d’autres. Ce qui est important est de donner des outils aux enfants pour qu’ils visualisent leur progrès, réussites et échecs, pour qu’ils évaluent ce qu’ils ont appris, ce qui leur reste à apprendre. Les progrès d’une situation A vers une situation B sont plus à valoriser pour que l’enfant comprenne qu’il a le droit de se tromper mais aussi que des moyens pour atteindre ses objectifs personnels sont disponibles et accessibles.
Des idées pour repenser les notes dans une optique de prévention du décrochage scolaire
Frédérique Weixler formule quelques propositions pour faire en sorte que les évaluations deviennent des leviers de motivation plutôt que des facteurs entretenant le décrochage scolaire.
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Choisir une note minimale au-dessous de laquelle on préfère indiquer « non noté » à l’élève.
Dans ce cas, l’élève sera invité à refaire son travail, à persévérer, sans avoir une impression vexatoire que son travail ne vaut rien. L’idée est de mettre à disposition des élèves dans ce cas des ressources : des exercices similaires qui peuvent servir de modèle, un résumé de la leçon, un temps d’étude ou de travail en groupe… Les élèves qui n’ont rien rendu seront également incités à travailler pour rendre leurs devoirs. Il ne s’agit pas de laxisme mais de prendre en compte le fait que, quand un élève accumule les mauvaises notes, sa personnalité et son estime de soi en prennent un coup.
Il est possible de montrer aux élèves qu’un progrès est toujours possible avec de l’entraînement et des stratégies. On ne renonce pas aux attentes car on peut dire explicitement aux élèves qu’on a des attentes élevées, et que ces attentes sont tout à fait réalistes. La tâche peut être difficile, mais nous allons tout mettre en oeuvre, ensemble, pour qu’ils la réussissent.
Le fixisme démotive : il n’encourage ni l’attention ni l’engagement actif, et il interprète l’erreur comme un indice d’une nullité intrinsèque… alors que se tromper est naturel, cela prouve simplement qu’on a essayé. – Stanislas Dehaene
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Noter ce qui a été fait même si le devoir est inachevé
De même, lorsqu’un devoir est inachevé ou à peine commencé, il est tout à fait possible de ne noter le travail que sur ce qui a été effectivement réalisé et rendu par l’élève. Frédérique Weixler prend l’exemple d’un élève en difficulté qui « bloque » devant une tâche complexe : s’il ne parvient qu’à répondre à la première question notée sur 5 points, il sera noté sur 5 et non sur 20.
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Adapter les consignes aux difficultés rencontrées par les élèves
Si un jeune a été longtemps absent, il peut avoir le droit de consulter ses cours pendant le contrôle, à titre exceptionnel. Frédérique Weixler lève l’objection selon laquelle il faut placer les élèves au plus tôt dans les conditions de l’examen. Selon elle, aucune évaluation ne se fait dans les conditions réelles de l’examen, si ce n’est le jour même. C’est seulement le jour même que l’élève est seul face à sa feuille avec tous les enjeux de l’examen. Aucun examen blanc n’aura autant de valeur symbolique. Frédérique Weixler conclut : “Alors autant l’aider, pas à pas, à être prêt pour l’échéance, et sortir du mythe tenace qu’il vaut mieux être mis en difficulté le plus tôt possible pour surmonter une épreuve.”
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Expliciter les conditions de la réussite
Nous pouvons alors dire aux élèves que la réussite est possible, sous deux conditions :
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- fournir l’effort nécessaire,
- s’y prendre de la bonne manière.
L’élève doit faire l’effort de mettre en application les stratégies que l’enseignant a montrées. L’élève comprendra que la réussite ne repose pas sur la chance. En effet, le talent d’un élève ne représente pas le point d’arrivée, mais seulement le point de départ. La distance entre le point de départ et le point d’arrivée est la quantité d’efforts fournis car on ne peut pas réussir quelque chose et progresser sans s’entraîner. Bien sûr, la quantité d’efforts nécessaires pour une tâche peut être différente d’un élève à l’autre. En outre, pour un même élève, la quantité d’efforts à fournir peut être différente d’une matière à l’autre. Toutefois, il faut expliciter ce que veut dire “faire un effort” : on ne peut pas demander aux élèves de faire un effort s’ils ne sont pas en mesure de savoir comment faire, si l’adulte n’a pas fourni les outils, les stratégies et les conditions requis pour mener la tâche à terme.
L’exemple de l’évaluation au microlycée de Reims
Frédérique Weixler décrit le fonctionnement du microlycée de Reims en matière d’évaluation. Dans cet établissement, les évaluations chiffrées (travail remis sur la plateforme, travail sur table, prestation orale, activité expérimentale ou de projet…) ont un double statut, formatif d’une part, indicatif d’autre part. Formatif parce qu’elles permettent au jeune et au professeur de mettre en œuvre les meilleures solutions pour la suite, indicatif parce qu’elles constituent un indicateur parmi d’autres mis à disposition dans le cadre de la coévaluation de fin de semestre.
Dans ce microlycée, la note inscrite sur le bulletin trimestriel n’est pas la moyenne des notes obtenues au cours du semestre. Elle va plutôt traduire l’engagement dans les études et les progrès réalisés dans le temps. Elle est par ailleurs le résultat d’un échange avec le professeur sur la base d’une proposition faite par l’élève :
- Le jeune engage une réflexion personnelle, avec l’aide de son tuteur, pour élaborer une proposition de note et d’appréciation.
- Dans un second temps, le professeur étudie cette proposition et la confronte à sa propre appréciation. L’enseignant propose soit de valider la proposition, soit de soumettre au jeune une proposition alternative pour engager un échange qui vise à rapprocher les deux points de vue.
Les propositions de notes et d’appréciations sont portées sur la base d’une réflexion mobilisant quelques questions :
–Les activités nécessaires aux apprentissages sont-elles faites régulièrement, en référence aux échéances fixées ?
–L’application dans leur réalisation est-elle suffisante pour permettre à ces activités de participer aux apprentissages visés ?
–La participation aux temps de regroupements collectifs prévus à l’emploi du temps est-elle régulière ? Est-elle au moins optimale au regard des contraintes personnelles subies ?
–La participation aux temps de travail encadré est-elle suffisante au regard des difficultés à surmonter et des besoins identifiés ? Une aide est-elle suffisamment sollicitée ?
–Des progrès sont-ils constatés au cours de la période considérée en référence aux apprentissages visés ?
–Le jeune dispose-t-il d’un socle de connaissances et compétences acceptable sur les points du programme traités ?
–Les acquis permettent-ils, a priori, d’envisager une suite à la formation dans l’enseignement supérieur en fonction du projet formé par le jeune ?
Lire aussi : Evaluer et noter : des synonymes ? (détour par la pédagogie Freinet)
Ainsi, les notes ne devraient jamais être synonymes de sanctions morales. Evaluer, c’est plutôt remarquer les progrès, encourager la participation, stimuler l’attention, envisager les erreurs comme des sources d’information sur ce qui a été compris ou non et sur le raisonnement de l’élève.
Il est également possible d’expliquer aux élèves les fondements même de l’apprentissage : la seule façon de développer les circuits du cerveau, c’est de déployer des efforts, de s’entraîner, d’essayer plusieurs stratégies et de s’engager au risque de l’erreur, qui est source d’information.
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Source : Décrochage scolaire : Anticiper et franchir les obstacles de Frédérique Weixler et Christian Enault (éditions Réseau Canopé). Disponible en médiathèque, en librairie ou en ecommerce.
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