Violences faites aux enfants : connaître et repérer les symptômes traumatiques (enseignants et professionnels)
Connaître et repérer les violences faites aux enfants (enseignants et professionnels)
Les troubles psychotraumatiques existent chez les enfants et peuvent être identifiés
Je vous propose de résumer les points principaux de l’intervention de Muriel Salmona (30 mn) lors du colloque de L’Afpssu 2016 « Enfants orphelins ou brisés par la vie » sur les psychotraumatismes que présentent les enfants victimes de violences et leur impact sur leur santé, leur scolarité et leur qualité de vie.
Muriel Salmona est psychiatre spécialisée en psychotraumatologie et victimologie, présidente de l’association Mémoire Traumatique et victimologie.
Les troubles psychosomatiques sont une blessure, une fracture faite au cerveau. Ce ne sont pas les enfants qui fabriquent leur propre malheur : on l’a fabriqué pour eux. Si on prend en charge les enfants victimes de violences, on évite qu’ils s’en prennent à eux-mêmes et aux autres.
On est dans un déni de la réalité et un manque de formation pour dépister et soigner les enfants victimes de violences. Plus on parle de ces violences, plus les victimes pourront se confier et plus les auteurs de violence seront repérés.
Quelques chiffres (de l’OMS) sur les violences faites aux enfants
22,4% des adultes ont subi des violences physiques dans l’enfance.
36,3% ont subi des violences psychologiques et 16,3% des négligences graves.
18% des filles et 7% des garçons ont subi des violences sexuelles.
125 000 viols par an sont exercés sur des jeunes filles mineures, 30 000 viols sur des garçons. Les violences sexuelles sont celles qui ont le plus d’impact sur la santé et les principales victimes des violences sexuelles sont les mineurs.
Le risque de subir des violences est multiplié par 4 pour les enfants en situation de handicap.
Le plus souvent, les violences infligées aux enfants le sont par des personnes de l’entourage proche.
Au bout de 50 ans, le facteur déterminant de la santé (mentale et physique) d’un enfant qui a subi des violences et qui n’a pas été pris en charge est le cumul des différentes formes de violence. Un enfant victime de différentes sortes de violence a 20 ans d’espérance de vie en moins.
Le facteur de risque le plus important pour subir des violences à l’âge adulte est d’en avoir subi dans l’enfance. Le facteur de risque le plus important pour commettre des violences à l’âge adulte est d’en avoir subi dans l’enfance.
83% des victimes de violences aggravées affirment n’avoir été ni reconnues ni protégées. Pourtant, à partir du moment où il y a prise en charge et soins, on évite la majeure partie des conséquences de ces violences.
Les 3 symptômes post traumatiques
1. La mémoire traumatique
La mémoire traumatique est une mémoire sensorielle, émotionnelle, physique qui n’est pas intégrée par le circuit de la mémoire. Cette mémoire reste bloquée dans un espace du cerveau et réenvahit la personne au moindre lien avec l’événement traumatique. La mémoire traumatique ne peut pas mentir car elle se reproduit à l’identique.
La mémoire de ce qui se passe reste en l’état hors temps et fait revivre les événements traumatiques comme une machine à remonter le temps. Ces souvenirs peuvent hanter les enfants et les enfants doivent mettre en place des stratégies de survie :
- évitement : phobie, alcoolisation à certaines périodes de la journée correspondant à des heures de violences subies, crises de panique, douches à répétition…
- contrôle
- conduites à risque : mises en danger qui provoquent la « dysjonction du système » pour éviter de revivre l’événement traumatique. Il est préférable pour un enfant de se scarifier que de revivre des violences extrêmes.
Ces manières de revivre les événements traumatiques peuvent être prises pour des hallucinations (auditives, visuelles, olfactives…) et des diagnostics de schizophrénie peuvent être posés alors qu’il s’agit de mémoire traumatique.
2. La sidération
Il y a paralysie des fonctions supérieures.
3. La dissociation traumatique
La personne est déconnectée de ses émotions et du stress : elle est comme anesthésiée et en dehors d’elle-même (en mode automatique).
Par exemple, 60% à 90% des prostituées sont des personnes qui ont connu des violences sexuelles dans l’enfance et qui sont dissociées.
Un état de dissociation traumatique pose problème car la personne dissociée ne ressent rien et peut parler de sujets graves qui la touchent intimement sans paraître impliquée.
L’enfant dissocié n’a pas une déficience mentale mais il ne peut pas utiliser son intelligence, au risque de revivre sa mémoire traumatique.
Des enfants peuvent subir des violences extrêmes sans que l’on s’en rende compte si on ne connaît pas ces symptômes. Tout est compréhensible et logique et on peut l’expliquer aux enfants pour qu’ils puissent identifier ce qu’ils ressentent et se rassurer sur le fait qu’ils sont normaux. Muriel Salmona parle de « réactions traumatiques normales » face à des violences anormales.
Pourquoi une telle sous-estimation des violences faites aux enfants ?
- Une vision « éducative » des châtiments corporels (voir le débat sur la fessée)
- Une méconnaissance des conséquences des violences sur le développement, la scolarisation et la socialisation des enfants
- Une stigmatisation des victimes comme enfants difficiles ou asociaux : une approche sur les symptômes plutôt que sur les causes profondes de ces symptômes
- Une banalisation de la souffrance : « c’est de leur âge », « c’est normal d’avoir ce comportement à l’adolescence », « ce sont les hormones à l’adolescence », « il/elle fait toujours son cinéma »
- Pour pouvoir protéger un enfant, il ne faut pas attendre que l’enfant parle car il est sous emprise, dépendant, voire menacé et n’a pas les mots pour dire les choses. On doit se préoccuper de ce que vivent les enfants.
Pourquoi les conséquences psycho-traumatiques sont-elles aussi lourdes ?
Chaque violence supplémentaire aggrave le risque de conduites à risque et de dégradation de la santé (dépression, risque suicidaire, grossesse précoce, alcoolisme, prise de drogues…).
Les violences subies dans l’enfance ont des conséquences neurologiques et épigénétiques, y compris les VEO (violences éducatives ordinaires comme les fessées, les claques, les tirages d’oreille, les retraits d’amour, les exclusions/ isolement ou “coin”, les humiliations…).
Les violences qui touchent les plus petits ont encore plus d’impact : le cerveau des jeunes enfants est trop immature pour contrôler l’état de stress dans lequel ils se retrouvent face à la violence qu’ils subissent. La sécrétion en trop grande quantité d’hormones du stress (cortisol et adrénaline) représente un risque vital pour l’organisme. L’organisme fait alors disjoncter le système comme le montre ce schéma (source : Brigitte Oriol) :
Comment repérer les violences faites aux enfants ?
Ces informations sont d’autant plus importantes à connaître pour les enseignants et professionnels en contact avec des enfants.
- Connaître les 3 types de symptômes traumatiques
- Poser des questions aux enfants qui ont l’air d’aller mal :
- « qu’est-ce qui t’est arrivé pour que tu ailles aussi mal ? »,
- « qu’est-ce qu’on t’a fait de gênant ou de douloureux pour que tu ailles aussi mal ? »,
- « qu’est-ce que tu as subi ? »,
- « est-ce que tu es en danger immédiat ? »
Il est important de savoir que des soins appropriés apportés aux victimes de violences leur permettent de récupérer et de retrouver une vie presque normale.
…………………………
>>> Pour aller plus loin : le site de Muriel Salmona Mémoire traumatique et victimologie