Récompenser les enfants pour les motiver et les inciter à “bien” se comporter : inefficace et nocif

Récompenser les enfants pour les motiver et les inciter à “bien” se comporter : inefficace et nocif

Récompenser les enfants pour les motiver

Dans son livre Le mythe de l’enfant gâté, Alfie Kohn explore les valeurs et raisonnements qui sous-tendent l’utilisation massive des récompenses et de la compétition dans l’éducation au sens global (en famille, à l’école, dans les activités extra scolaires).

Il considère que les récompenses et la compétition sont à la fois inefficaces et nocives et regrette que les preuves issues de nombreuses études scientifiques en défaveur de l’utilisation des récompenses soient ignorées.

Quel que soit l’âge ou le milieu social, c’est souvent la curiosité ou la passion qui nous font agir, animés du pur bonheur de repousser nos limites ou de donner un sens au monde. Chaque illustration apporte sans conteste un nouveau démenti à la triste croyance cynique, selon laquelle on fournit un effort seulement en échange d’argent, d’une tape sur l’épaule ou de toute autre version du biscuit qu’on donne à un bon toutou. – Alfie Kohn

Celles et ceux qui partagent cette croyance en la vertu des récompenses estiment indispensables de proposer des récompenses aux enfants… et le font sous une forme ou une autre (paroles, argent, cadeaux), notamment à l’école (exemples :  gommettes, tableau de comportement de toute sorte – “fusée des comportements”, croix, couleurs, smileys, fleurs, soleils -, privilèges, bons points…). Ces personnes dévalorisent implicitement le pouvoir de la motivation intrinsèque (et démontrent par là une méconnaissance de la nature humaine et des mécanismes de l’apprentissage… alors même que c’est souvent leur métier).

L’idée sous jacente est qu’il faudrait utiliser des récompenses sinon les enfants n’agiraient jamais bien et ne reproduiraient jamais une “bonne” action (si par le plus grand des hasards, ils étaient amenés à bien se comporter une fois).

Cette idée s’applique également aux adultes et au monde de l’entreprise. Les défenseurs du salaire au mérite et des mesures incitatives dans le domaine professionnel pensent que les employés pourraient constamment travailler mieux (et surtout plus), mais s’y refuseraient à moins qu’on les soudoie.

Croire fortement qu’il faut agiter des récompenses sous le nez des gens pour les motiver laisse entendre non seulement que les gens manquent de compétences, mais encore se moquent de les acquérir. Et cette vision de notre espèce n’est pas seulement insultante : elle est inexacte. – Alfie Kohn

 

Quand les enfants semblent avoir besoin de récompenses

Alfie Kohn affirme que dans le cas où les gens et les enfants semblent avoir besoin de récompenses, cela peut refléter le tort causé par des récompenses antérieures ou un problème avec la tâche à réaliser (je rajouterais un problème avec l’organisation de l’environnement proposé, “l’ambiance” au sens de Maria Montessori).

Mais, dans cette perspective, le supposé besoin de récompense est moins important que ce qu’on a tendance à penser collectivement. Pour Kohn, la crainte de ne pas offrir de récompense en échange d’une action appropriée ou d’un travail bien fait est largement infondée. 

Les récompenses endommagent la motivation intrinsèque

Quand un enfant semble avoir besoin de récompense pour réaliser un travail ou se comporter “bien”, peut-être que l’enfant prenait plaisir à cette activité jusqu’à ce qu’on lui donne une récompense.

Kohn rappelle que motivation intrinsèque (qui vient de l’intérieur) et motivation extrinsèque (qui vient de l’extérieur) ne sont pas juste différentes : elles sont corrélées à l’inverse l’une de l’autre.

De nombreuses études ont montré que plus on récompense quelqu’un pour ce qu’il a fait, plus il tend à perdre son intérêt pour ce qu’il doit faire pour avoir la récompense. En d’autres termes, les incitations du type récompense sont nocives.

Cela est valable non seulement pour le travail scolaire (faire les exercices demandés, écouter en classe, avoir des bonnes notes, faire les devoirs, se tenir immobile et silencieux…) mais également pour les actes moraux.

A partir du moment où un adulte offre une récompense à un enfant (y compris des éloges) pour un acte de générosité, cet enfant deviendra un peu moins susceptible d’aider la prochaine fois s’il pense qu’il n’en retirera rien.

Par ailleurs, un système basé sur les récompenses crée une demande de récompenses. Selon Alfie Kohn, le problème n’est pas qu’on ne met pas la barre assez haut et qu’on distribue les éloges trop facilement : le problème réside dans les récompenses elles-mêmes et le tort qu’elles causent à la motivation intrinsèque.

Quand on confond motivation de l’enfant et exigence d’obéissance de l’adulte

Quand les enfants ne semblent pas motivés et semblent avoir besoin d’une incitation extrinsèque pour faire quelque chose, c’est probablement que cette chose n’est pas particulièrement enthousiasmante.

Cette notion d’enthousiasme peut nous amener à réaliser que nous ne parlons alors plus de la motivation de l’enfant mais de l’exigence d’obéissance de l’adulte sur la base de ce que ces adultes estiment bon et moral pour les enfants (étant entendu que les adultes ne peuvent qu’avoir raison, qu’ils savent mieux que les enfants ce dont ils ont eux-mêmes besoin et ont la force d’imposer leurs décisions aux enfants).

Lire aussi : Pour une école de l’enthousiasme ! L’enthousiasme est un bien précieux pour l’humanité.

Les récompenses ne sont pas nécessaires pour promouvoir le fait d’apprendre mais elles peuvent être nécessaires pour que les enfants mémorisent une liste de faits pour un quiz (en partant du principe que les quiz sont bons pour les apprentissages).

Les récompenses ne sont pas nécessaires pour rendre les enfants soucieux du bien-être d’autrui (en fait, elles ont tendance à ruiner petit à petit la compassion naturelle qui anime tous les humains) mais elles peuvent être nécessaires pour faire taire les enfants et obtenir leur obéissance.

 

Lien entre récompense et compétition : des ressemblance dans leur nature… et donc dans leurs méfaits !

La compétition est une situation dans laquelle des gens sont montés les uns contre les autres et au bout de laquelle ils obtiennent une récompense. En effet, un prix (note, médaille, éloge, diplôme du meilleur, argent, tableau d’honneur…) est un type de récompense.

La compétition portée par l’école invite les enfants à voir leurs pairs non comme des amis potentiels ou des collaborateurs mais comme des obstacles à leur propre succès… et cet état d’esprit imprègne la société entière (parce que, d’une part, les pédagogies coopératives sont très peu répandues et que, d’autre part, tout le monde va à l’école – à part l’infime pourcentage d’enfant instruits en famille ou scolarisés dans des écoles inspirées par des valeurs démocratiques).

En s’appuyant sur des références scientifiques consultables dans la bibliographie de son livre, Kohn affirme qu’un prix remporté à l’issue d’une compétition a pour effet de :

  • saper la santé physique et mentale, y compris la confiance en soi (pour jouer le jeu de l’école classique – et plus tard du monde de l’entreprise -, les enfants sont amenés à sacrifier le sommeil, la santé, les amis, le sens de l’essentiel, la lecture pour le plaisir et tout ce qui pourrait interférer sur les récompenses et les notes),

 

  • entraver la relation à autrui (les récompenses et la compétition apprennent à confondre exceller et gagner, comme si la seule façon de réussir quelque chose était d’éliminer les autre),

 

  • endommager l’empathie et la propension à l’entre aide (la compétition encourage les enfants à mesurer leur propre valeur en comptant le nombre de personnes qu’ils ont battues) ,

 

  • remplacer la motivation intrinsèque par la motivation extrinsèque (quand des élèves ont le choix entre avoir une moyenne de 8/20 ou ne retenir aucune connaissance mais avoir une moyenne de 18/20, ils choisissent  massivement la deuxième option mettant la priorité sur la réussite des contrôles et sur les notes plutôt que sur l’apprentissage en soi),

 

  • dégrader la curiosité et à terme la compétence (les notes et récompensent encouragent les élèves à penser de façon plus superficielle pour avoir des notes suffisantes pour avoir la paix ou pour atteindre leurs objectifs au risque de se couper de toutes les activités et informations inutiles à l’atteinte de cet objectif).

 

Contrairement à la croyance populaire, en général la compétition n’améliore pas la performance – même pour des tâches simples. Et quand les tâches sont plus complexes – par exemple, quand elles font appel à la créativité – toutes les études montrent l’une après l’autre que l’absence de compétition produira vraisemblablement de meilleurs résultats. C’est vrai en partie parce qu’un environnement  compétitif (je réussis si tu échoues) va fortement à l’encontre du dispositif qui aide vraiment les gens à faire de leur mieux : la coopération (je réussis seulement si tu réussis aussi). – Alfie Kohn

Ainsi, les résultats de la compétition comportent souvent l’agression, la tricherie, la jalousie envers les vainqueurs, le mépris à l’égard des perdants et une attitude de suspicion à l’égard de n’importe qui.

Par ailleurs, Ramin farhangi, co fondateur d’une école démocratique à Paris et auteur du livre  Pourquoi j’ai créé une école où les enfants font ce qu’ils veulent, rappelle que les élèves prennent tous les raccourcis possibles pour se bourrer méthodiquement le crâne la veille du contrôle. Mais il nous invite à l’introspection :  enseignants et parents utilisent les récompenses, et les bonnes note, aussi et surtout comme moyen de coercition (même si nous aimerions que l’évaluation soit un simple outil de vérification).

En définitive, nous conduisons les enfants à considérer quoi qu’ils fassent juste comme un moyen d’arriver à leurs fins  : l’objectif n’est pas de peindre ou de lire mais de gagner. Et ainsi l’acte de peindre ou de lire, en lui-même, est dévalorisé dans l’esprit de l’enfant. – Alfie Kohn

Pour aller plus loin : 10 stratégies pour la motivation intrinsèque à l’école (et pour éviter les facteurs de démotivation)

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Source : Le mythe de l’enfant gâté de Alfie Kohn (éditions L’Instant Présent). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.

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