Nos ados sur les réseaux sociaux : un livre pour les parents et les enseignants sans idéalisation ni catastrophisme

Nos ados sur les réseaux sociaux : un livre pour les parents et les enseignants sans idéalisation ni catastrophisme

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Béatrice Kammerer est journaliste spécialisée en éducation et parentalité, diplômée en sciences de l’éducation et elle s’est intéressée aux réseaux sociaux parce que les discours alarmistes les qualifiant d’addictifs, abêtissants, complotistes, ou encore de violents engendrent des inquiétudes chez les éducateurs. Dans son livre, elle a collecté des données pour évaluer si ces inquiétudes sont justifiées et en déduit quelques attitudes éducatives pour permettre aux adolescents de grandir sereinement.

Béatrice Kammerer a organisé son ouvrage autour de 5 parties :

  1. être parent à l’ère du numérique
  2. réguler leur temps d’écran
  3. distinguer l’info de l’infox
  4. socialiser en ligne
  5. devenir adulte avec les réseaux sociaux

Ainsi, Béatrice Kammerer rappelle que constater que les adolescents qui utilisent les réseaux sociaux ont plus de difficulté (ou de facilité) à faire preuve de telle ou telle aptitude ne suffit pas à prouver que ces outils sont responsables. En effet, le sens de la causalité pourrait être inversé – la préexistence de telle difficulté ou facilité pourrait prédisposer les adolescents à un plus grand usage des réseaux sociaux – ou le facteur causal pourrait être totalement autre. Par exemple, on peut observer qu’au moment de décéder, la majorité des personnes se trouvent dans un lit… sans pour autant en conclure que les lits sont dangereux.

L’autrice nous invite à réfléchir à nos peurs, nos espoirs, nos pratiques, nos valeurs, afin que nous puissions retrouver la sérénité et la confiance nécessaires pour aborder les défis de l’ère numérique, et construire sur cette base une posture éducative qui nous ressemble. Plutôt que faire appel à nos peurs et se poser en pourvoyeuse de méthode, elle rappelle qu’il n’existe aucune règle universelle. Béatrice Kammerer préfère nous donner des balises, et des outils d’analyse, pour que nous puissions construire des solutions efficaces, adaptées à chaque contexte.

Pour cela, elle a interrogé de nombreux professionnels (professeurs en sciences de l’information, en communication, en neurosciences; sociologues; chercheurs en sciences cognitives; psychiatre; psychologues; philosophes; historiens). Il semblerait que l’impact des technologies numériques sur la parentalité soit moins fracassant qu’on a tendance à le penser. Béatrice Kammerer cite le psychiatre Serge Tisseron qui affirme : « La seule chose qui ait changé, c’est que les parents du xxi e siècle sont contraints de protéger leur enfant non seulement contre les risques qu’ils ont eux-mêmes connus, mais aussi contre des risques totalement nouveaux, qu’ils découvrent en même temps que leur progéniture, tels que l’hyperconnexion ou l’exploitation des données personnelles ou les algorithmes qui manipulent nos comportements ».

Par exemple, les résultats du Baromètre 2019 sur la jeunesse montrent que près de la moitié des jeunes (45 %) choisissent prioritairement d’occuper leur temps libre à être avec leurs proches (famille, amis), internet n’arrivant qu’en deuxième position des pratiques récréatives les plus agréables (cité par 27 % des répondants), à quasi-égalité avec les activités physiques et sportives (citées par 26 % des répondants). Béatrice Kammerer rappelle, non sans malice, que les principaux usagers de ces outils restent les adultes. C’est d’ailleurs en ce sens qu’elle nous invite à faire le point sur notre propre usage d’adulte et à prendre conscience de nos contradictions (qui, elles, n’échappent pas aux jeunes).

Grégoire Borst, professeur de psychologie du développement et de neurosciences cognitives de l’éducation à l’université Paris-Cité, rappelle toutefois les limites cognitives des jeunes et le rôle que les adultes peuvent jouer : « La spécificité du cerveau adolescent est de ne pas être encore mature dans la gestion de son réseau émotionnel, incluant les sensations de plaisir et le circuit de la récompense. Il est donc tout à fait normal – et même physiologique ! – qu’ils aient plus de difficultés à autoréguler leurs usages des réseaux sociaux. Ils ont besoin que les éducateurs leur expliquent ces différences biologiques et jouent le rôle de modérateur que leur cortex préfrontal n’est pas encore en mesure d’assurer. »

Le psychiatre Serge Tisseron ajoute que, si les réseaux sociaux plaisent aux adolescents, c’est d’abord parce qu’ils facilitent les activités sociales qui ont toujours plu aux êtres humains, en particulier les jeunes. Béatrice Kammerer rappelle notamment qu’il n’existe pas de consensus scientifique au sujet de l’addiction aux écrans. 

« Ces excès disparaissent généralement tout seuls avec le passage à l’âge adulte. En effet, cette période correspond au décalage physiologique qui affecte la maturation du cerveau adolescent. Il a une hypersensibilité aux récompenses et aux attentes des pairs, mais ne dispose pas encore des moyens de réguler ses désirs et ses impulsions. C’est pourquoi la passion effrénée pour les jeux vidéo ou les réseaux sociaux occupe généralement trois ou quatre ans, entre 11-12 ans et 15-16 ans, sauf évidemment en cas de pathologie psychiatrique sous-jacente. » – Serge Tisseron

« En général, il s’agit de jeunes souffrant de troubles psychologiques non diagnostiqués – dépression, phobie scolaire ou troubles anxieux généralisés – qui investissent les réseaux sociaux parce que ces espaces leur permettent de s’évader, de soulager leurs angoisses ou d’oublier leurs difficultés. Les parents pensent le numérique responsable du mal-être de leurs enfants, alors qu’en réalité, c’est souvent la béquille qui leur a permis de tenir jusque-là… » – Vanessa Lalo, psychologue clinicienne et spécialiste des pratiques numériques :

Les données rassurantes sur le lien entre consommation d’écran et santé mentale ne doivent pas occulter la possibilité de différences entre les individus, ni les effets négatifs des technologies numériques.

Pour des jeunes qui auraient déjà des problématiques d’estime de soi, le fait de fréquenter les réseaux sociaux – qui sont des lieux de comparaison sociale – peut parfois renforcer leur image altérée d’eux-mêmes. Par ailleurs, des impacts négatifs peuvent être mentionnés, comme la réduction du temps de sommeil, la diminution du temps d’activité physique, le syndrome du manque de nature (concept de Richard Louv), et la fragilisation de la concentration (consulter les écrans en même temps qu’une autre activité nécessitant de la concentration dégrade la qualité de l’apprentissage). De plus, les adolescents sont sensibles à la valorisation de la réactivité et de la disponibilité à tout prix, largement encouragée par le design des plateformes. Béatrice Kammerer nous invite donc à les aider à prendre de la distance face à l’injonction de l’hyper-disponibilité forcée :

  • inviter les ados à ne pas laisser le temps de réaction devenir le mètre étalon de la qualité de leurs liens sociaux;
  • leur apprendre à refuser de sacrifier à ces nouvelles normes sociales leur sommeil et leur détente;
  • les convaincre de s’octroyer – sans jamais culpabiliser – le droit de déconnecter tous leurs outils numériques;
  • dialoguer avec les enfants pour les inciter à réguler – voire à réduire – leur temps d’écran, plutôt que diaboliser leurs usages des réseaux sociaux ou de mépriser l’intérêt qu’ils y trouvent;
  • trouver des activités alternatives suffisamment attractives pour les jeunes pour “concurrencer” les réseaux sociaux, d’où l’importance de ne pas se décourager et de rester autant que possible à l’affût des centres d’intérêt des jeunes.

Ainsi, il vaut mieux éviter de s’en tenir à une logique comptable, et raisonner en termes de nature du contenu plutôt que de limites temporelles. Béatrice Kammerer formule quelques suggestions comme le fait d’instaurer des limites de temps hebdomadaires plutôt que quotidiennes.

Vanessa Lalo, psychologue, suggère même l’élaboration d’une charte familiale, dont les termes seront négociés et acceptés par l’ensemble des membres du foyer. Parmi les règles les plus classiquement choisies, on compte, par exemple, l’interdiction d’utiliser les outils numériques durant les repas ou l’obligation d’éteindre les appareils durant la nuit, mais chaque famille est libre d’enrichir la charte selon ses valeurs et ses habitudes.

Béatrice Kammerer aborde également la question du complotisme, des fausses informations et de l’éducation à l’esprit critique. Elle rappelle qu’exercer son esprit critique, c’est faire preuve de doute méthodique. Ce n’est pas tout critiquer, ni douter de tout, ni tout relativiser, mais, au contraire, apprendre à accorder sa confiance à bon escient, en fonction de la qualité des informations qui nous sont proposées.

Concernant le cyberharcèlement et le visionnage de contenu à caractère sexuel ou violent, il est par exemple important que les enfants apprennent comment alerter les plateformes, comment signaler un contenu problématique.

La mise en page qui propose à la fin de chaque chapitre des encadrés récapitulatifs et synthétiques, ainsi que des ressources pour aller plus loin (avec des QR codes), rend la lecture de cet ouvrage indispensable et complet encore plus attrayante et enrichissante. Ce livre s’adresse aux éducateurs au sens large, parents, enseignants et toute autre personne en contact avec des jeunes dès 10/11 ans (et peut-être même avant).

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Nos ados sur les réseaux sociaux, même pas peur ! de Béatrice Kammerer (éditions Réseau Canopé) est disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.

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