Peut-on définir apprendre ?
Peut-on définir apprendre ?
Étymologiquement, apprendre signifie “prendre en soi”. Jeanne Siaud-Facchin écrit que apprendre suppose qu’il existe un “objet” extérieur, un “objet de connaissance” à l’extérieur de soi et que nous devons mettre en marche des mécanismes pour s’approprier ce savoir externe.
Apprendre est un verbe et suppose donc un mouvement, une action.
Selon Jeanne Siaud-Facchin, apprendre correspond à une démarche intellectuelle active face à un savoir nouveau. L’apprentissage consiste à s’approprier ce savoir en mettant en jeu différents mécanismes :
- l’analyse
- la compréhension
- la mémorisation
Parvenir à l’acquisition et la maîtrise de la connaissance nouvelle (le savoir) présuppose :
- la volonté d’apprendre (et pas seulement de savoir : passer du désir de savoir au désir d’apprendre n’est pas si aisé)
- l’envie d’apprendre (le désir et la motivation qui poussent à se mettre en mouvement et à faire des efforts)
- la représentation claire de l’objectif à atteindre (la capacité à se projeter et à s’imaginer comment sera utilisé le savoir, quel projet ou quel besoin il servira)
Apprendre est donc une alchimie complexe :
- Accepter de ne pas savoir (qui renvoie à l’estime de soi, l’image qu’on a de nous et la valeur que nous nous attribuons)
- Activer ce que l’on sait déjà, faire des liens et confronter la connaissance nouvelle aux savoirs déjà intégrés (qui renvoie à la mémoire)
- Inhiber ce qui ne convient plus demandant des repères internes stables et d’être bien dans sa tête (qui renvoie à la confiance en soi et à la capacité d’accepter les erreurs, les échecs)
- Être acteur du processus, s’approprier les connaissances au service d’un objectif, d’un projet, d’un rêve (c’est dans la poursuite de nos projets réels, personnels et choisis librement qu’on développe le plus de compétences : je ne sais pas comment je vais faire mais je vais le faire !)
On est obligé d’apprendre (même si ce n’est pas toujours ce que les autres voudraient qu’on apprenne !). Le cerveau ne peut pas s’empêcher d’apprendre. Il ne sait rien faire d’autre, il est programmé pour cela. Tout le monde apprend, tout le temps (même si le contenu de cet apprentissage n’est pas toujours ce que l’enseignant, les parents, le patron ou la société attendent qu’on apprenne…).
Les pré requis pour apprendre
Pour apprendre, il faut accepter de ne pas savoir (et en prendre conscience) !
- Apprendre suppose la capacité de tolérer la frustration : ne pas tout savoir et ne pas tout savoir tout de suite
- Apprendre suppose d’avoir confiance en soi pour ne pas se sentir menacé dans cette situation transitoire que constitue la situation d’apprentissage, c’est-à-dire accepter de ne pas savoir pour acquérir la compétence ou connaissance nouvelle
- Apprendre suppose de pouvoir supporter ce sentiment passager d’incompétence et d’inconfort (hors de la zone de confort justement)
- Apprendre suppose de prendre le risque d’être confronté à ses limites, de ne pas y arriver. Et de l’accepter.
- Apprendre est une démarche qui peut aussi être douloureuse.
- Apprendre, c’est faire preuve de courage.
La place de l’erreur
Apprendre, c’est comprendre pourquoi on se trompe ! C’est parce que je me trompe que je suis en train d’apprendre. Les erreurs sont des leviers de progression.
L’erreur n’est pas seulement l’effet de l’ignorance, de l’incertitude, du hasard […] , mais l’effet d’une connaissance antérieure, qui avait son intérêt, ses succès, et qui, maintenant, se révèle fausse ou simplement inadaptée. – G. Brousseau (didacticien des mathématiques)
Si les enfants considèrent les erreurs comme des marques de faiblesse, alors ils auront tendance à se sentir inadéquats et découragés alors qu’intégrer les erreurs dans le processus d’apprentissage permet de les assumer et d’en faire un exercice enrichissant : “Je me demande ce que je vais apprendre de cette erreur.”
Une bonne estime de soi
L’estime en soi est à mettre en rapport avec la valeur que nous nous accordons. L’estime de soi est synonyme d’image de soi. Elle est le résultat d’une évaluation que nous faisons de nous-mêmes, de nos actions.
On reconnait l’estime de soi saine et épanouie au sentiment d’être bien avec soi-même, d’harmonie avec soi. Une bonne estime de soi produit une énergie constructive qui permet à la personne de s’ouvrir à la nouveauté, à l’inconnu, à l’autre.
On accepte plus facilement les difficultés, les obstacles, les critiques quand on a une bonne image de soi.
Dépasser la peur d’apprendre
Pour apprendre dans le cadre scolaire, les enfants ont besoin de compétences dites instrumentales (comme la mémorisation du son des lettres ou le repérage dans l’espace de sa feuille) et de compétences dites comportementales (comme rester assis sur sa chaise ou savoir se concentrer sur un texte).
Serge Boimare, ancien enseignant et psychopédagogue, va plus loin : ces compétences sont nécessaires, mais pas suffisantes. Un enfant a besoin d’un monde interne riche et fiable quand il apprend car apprendre est une épreuve.
Le monde interne a deux fonctions :
- alimenter les capacités réflexives (produire des images, du sens, des connexions),
- relayer les capacités réflexives (raconter, expliquer, argumenter, structurer).
Serge Boimare propose d’expliquer une partie de l’échec scolaire par une mauvaise qualité du monde interne qui entraîne des stratégies d’évitement de penser. Selon lui, l’empêchement de penser touche environ 15% des élèves de l’école française. Il voit deux grandes raisons à cette mauvaise qualité du monde interne de ces enfants :
- sa fragilité (dû notamment à une incapacité à se remettre en cause, à reporter systématiquement sur l’autre ce qui leur arrive de mauvais ou de décevant et à différer ses désirs),
- sa pauvreté (dû notamment à un manque d’interactions langagières).
Comme ces enfants manquent de points d’appui internes, ils sont incapables de différer leur satisfaction et de supporter le doute. C’est seulement en les aidant à construire un monde interne sécurisé et enrichi que Serge Boimare estime que ces enfants empêchés de penser pourront résister à la frustration et à l’inquiétude imposées par le fonctionnement intellectuel.
L’apport des neurosciences et de la psychologie positive
Les piliers de l’apprentissage selon les neurosciences
Les neurosciences nous éclairent sur ce qui se passe dans le cerveau quand on apprend : apprendre, c’est créer des nouvelles connexions entre les neurones dans le cerveau.
Cette vision neuroscientifique est optimiste : on peut créer de nouvelles connexions entre les neurones à tout âge. On ne nait pas avec une dose d’intelligence immuable mais le cerveau est fait pour apprendre toute la vie. On peut modifier et faire évoluer ses compétences en fonction de son travail, de ses efforts, de son engagement. On n’a jamais fini d’apprendre !
On apprend essentiellement par mimétisme grâce aux neurones miroirs.
Les neurosciences ont établi 4 piliers de l’apprentissage :
La psychologie positive et le rôle des émotions
La psychologie positive nous apporte un autre éclairage : on apprend mieux quand on se sent mieux. Les émotions positives facilitent les apprentissages et la dimension affective est très importante tout au long du processus. La bienveillance de la part des enseignants et des parents est donc fondamentale pour soutenir les apprentissages. La plus belle parole qu’on peut offrir à un enfant est “Je crois en toi”.
On peut alors expliquer aux enfants la manière dont fonctionne le cerveau :
- les neurones miroirs
Le temps dans les apprentissages : apprendre à son rythme et à sa manière
Les troubles de l’apprentissage
Apprendre ne va pas de soi : c’est le résultat d’une alchimie complexe entre
- opérations mentales
- dimensions affectives
- motivations pour apprendre
Ainsi, les difficultés peuvent toucher une ou plusieurs de ces catégories (difficultés cognitives, psychologiques, personnelles, sociofamiliales…)
Jeanne Siaud-Facchin définit les troubles des apprentissages comme un ensemble de difficultés hétérogènes dont les causes relèvent d’un dysfonctionnement ou d’un retard dans l’organisation cognitive de la pensée. D’une façon plus large, est considéré comme trouble des apprentissages tout type de trouble fonctionnel venant entraver les capacités d’apprentissage. Les troubles des apprentissages peuvent être limités à une fonction spécifique (le langage, la mémoire, l’attention, le calcul, les repères dans le temps et dans l’espace…) ou étendus à plusieurs secteurs intellectuels. Des troubles de l’apprentissage peuvent également apparaître chez des enfants au fonctionnement intellectuel atypique : les enfants déficients et les enfants surdoués.
Un trouble “dys” (dyslexie, dyscalculique, dyspraxique, dysorthographique…) est donc un trouble instrumental. Il s’agit d’enfants à l’intelligence le plus souvent “normale” en termes de QI mais auxquels il manque un outil, un “instrument” pour être totalement efficaces.
Les troubles de l’apprentissage (de même que le handicap moteur ou cognitif) n’empêchent pas les apprentissages ni au sens global ni au sens scolaire. Tout le monde peut apprendre, à un rythme différent, avec des méthodes différentes, adaptées. Ainsi sont nées des typographies spécialement adaptées aux enfants dyslexiques ou encore recommande-t-on le recours à l’ordinateur pour les enfants dyspraxiques.
Différents profils d’apprentissage ?
Les recherche en neurosciences n’ont pas encore réussi à démontrer qu’il existe des styles d’apprentissage propres à chaque individu (auditif, visuel, kinesthésique). Aucun neuroscientifique ne peut affirmer que les apprentissages seront plus profonds et plus durables si un enseignant enseigne exclusivement en fonction du style d’apprentissage.
En revanche, il est vrai que nous apprenons tous par différents canaux de réception des informations : par la vue, par l’oreille, par le mouvement. Il serait alors plus judicieux d’inciter les apprenants à combiner plusieurs manières d’apprendre.
Nous n’avons pas un seul et unique mode d’évocation. En fonction de la tâche que nous effectuons, nous mixons parfois plusieurs modes d’évocation. Les élèves qui réussissent brillamment sont d’ailleurs ceux qui parviennent à « jouer » sur plusieurs gammes d’évocation en fonction de l’objectif.
L’idée essentielle est de pouvoir augmenter la palette de tout ce qui se passe dans la tête. – Isabelle Pailleau et Audrey Akoun
Elisabeth Nuyts, pédagogue spécialisée dans l’accompagnement des enfants et adultes en difficultés d’apprentissage, défend une thèse : les êtres humains sont fondamentalement des êtres du verbe et on ne peut pas le leur confisquer sans dommage. Il faut que ça parle dans ta tête !
Elle regrette que certains apprentissages soient dissociés de la parole et que certains enfants apprennent à lire silencieusement, à écrire la bouche close, à écouter sans écrire, à écrire sans se dicter la moindre chose. Les enfants qui ne savent pas analyser ce qu’ils entendent, qui ne s’entendent plus dans leur tête quand ils lisent ou quand ils écrivent, ne s’entendent presque plus quand ils pensent.
Elisabeth Nuyts déplore que les méthodes scolaires dominantes se concentrent sur les outils des visuels (discrimination et mémoire visuelles). Sommes-nous bien sûrs que nous mettons en place tous les outils nécessaires aux visuels ? Mais surtout sommes-nous sûrs que nous n’oublions pas, partiellement ou totalement, celui des auditifs et des kinesthésiques ? On pourrait ajouter à la palette des pratiques pédagogiques dans l’apprentissage de la lecture notamment :
- la discrimination auditive,
- la mémoire auditive d’informations dont on a préalablement dégagé le sens,
- la discrimination et mémoire visuelles travaillées à partir de la parole,
- la mise en place des repères chronologiques.
En associant parole (son), vue (lettres et signes) et gestes (lettres rugueuses et alphabet mobile tels que conçus par Maria Montessori/ personnages à manipuler dans la méthode des Alphas/ gestes de la main dans la méthode Borel Maisonny), on n’oublie personne lors de l’apprentissage de la lecture.
Éloge d’un éducation lente (ou le rythme adapté à chacun)
La Slow education (éducation lente) prône le temps adapté à chacun. Le concept d’éducation lente est lié au temps nécessaire à la bonne réalisation des apprentissages. Chaque enfant a son propre rythme, ses propres talents, ses propres intérêts.
L’éducation lente est la possibilité pour chaque enfant d’apprendre selon son propre tempo, parfois calme, parfois rapide. Cette souplesse permet de faire comprendre aux enfants qu’ils sont capables d’apprendre dans des milieux très différents.
La décision d’étudier (où, quand, comment) appartient aux enfants et c’est pour cette raison qu’ils (re)prennent plaisir à apprendre.
Quand on confond apprentissages et matières scolaires traditionnelles
L’éducation émotionnelle et la communication : l’intelligence du cœur oubliée
Isabelle Filliozat regrette que tant de personnes soient des « infirmes relationnels ». Pour elle, l’alphabétisation émotionnelle est le défi d’aujourd’hui.
Isabelle Fillioza part du principe que les émotions sont notre langage commun. Mieux comprendre les autres, réagir avec empathie à leurs besoins et à leurs sentiments permet d’avoir moins peur d’autrui, de nous sentir plus proches, plus solidaires et de renforcer la coopération.
La psychothérapeute conseille de faire de la place aux émotions à l’école.
On fait des cours sur Vercingétorix, les racines carrées et les guerres de religion, mais on ne dit rien sur la colère, le deuil, l’amour, ou la gestion non-violente des conflits
Jacques Salomé milite quant à lui pour l’introduction de cours de communication non violente à l’école. Il propose des principes de base à enseigner à l’école pour apprendre à communiquer.
Edgar Morin, philosophe, estime que 7 savoirs sont nécessaires à l’éducation du futur pour une éducation intégrée, humaniste et pacifiste.
La qualité des relations humaines va bien au-delà de la somme des activités que nous organisons avec nos enfants. La qualité renvoie également à l’éducation aux émotions. Dans un cadre démocratique, l’intelligence n’a de sens que si elle est mise au service de l’humanité. – Joan Domenech Francesch (auteur de Éloge d’une éducation lente)
L’art et la créativité : des “sous matières” à l’école ?
Ken Robinson, auteur de L’Elément, milite pour la reconnaissance des talents de tous les enfants. Pour lui, il ne devrait pas y avoir de hiérarchie dans les matières scolaires.
Mon combat est que la créativité aujourd’hui est aussi importante dans l’éducation que la littérature. Les arts, les sciences, les lettres, l’éducation physique, les langues et les mathématiques contribuent tous à part égale à l’éducation d’un enfant. – Ken Robinson
Mae Jemison, première femme afro-américaine à être allée dans l’espace, insiste sur l’importance de l’enseignement des sciences et des arts comme complémentaires et essentiels pour former des individus complets et audacieux.
Je pense que notre mission est de réconcilier, de réintégrer la science et les arts.
Les arts et la science sont des avatars de la créativité humaine. Nous avons besoin des deux dans la vie.
La science apporte la compréhension d’une expérience universelle, les arts apportent la compréhension universelle d’une expérience individuelle et les deux font partie de nous.
Elle propose de ne plus tenir de discours du type : « Les scientifiques et la science, ce n’est pas créatif. Les scientifiques sont peut-être ingénieux, mais ils ne sont pas créatifs. », « Les artistes ne sont pas analytiques. Ils sont peut-être ingénieux, mais pas analytiques. » mais de plutôt tenir des discours du type : « Tu peux être à la fois créatif et logique. »
Apprendre à l’école, le lieu des apprentissages par essence ?
Philippe Meirieu : accompagner le plaisir d’apprendre
Philippe Meirieu insiste sur le plaisir d’apprendre : l’école doit éveiller le désir d’apprendre et accompagner le plaisir d’apprendre.
Dans son livre Le plaisir d’apprendre, il indique rien ne fait plus grandir que la compréhension du monde, que ces étincelles ou ces déclics de la pensée qui arrive à nommer, que la rencontre entre les questions les plus intimes et les réponses les plus universelles.
Le désir d’apprendre n’enclenche pas immédiatement le plaisir d’apprendre car, comme on l’a vu plus haut, apprendre est une épreuve qui nécessite des efforts et du courage. Le plaisir d’appendre naît alors :
- des heures de tâtonnement et des instants d’émerveillement que le processus d’apprentissage offre,
- du sentiment qu’on vient d’accéder à quelque chose qui vient de nous et qui nous échappe en même temps,
- de la rencontre entre notre intelligence et l’intelligibilité du monde,
- du fait de trouver la bonne expression, le mot juste,
- d’une création, de la production d’un signe de la connaissance acquise.
La découverte du plaisir d’apprendre nécessite aux côtés des enfants des adultes heureux de vivre, d’apprendre eux-même, de transmettre et de partager.
Nous avons le devoir de mobiliser sans manipuler, de convaincre sans contraindre, d’instruire sans domestiquer.
Selon Philippe Meirieu, nous adultes pouvons accompagner la fierté de la réussite et le plaisir de se dépasser des enfants en :
- rectifiant les erreurs sans condamner,
- entendant les erreurs sans dénoncer les fautes,
- laissant entrevoir un progrès possible,
- donnant des conseils mais pas des injonctions pour améliorer les résultats,
- invitant l’enfant à faire et refaire jusqu’à ce qu’il se découvre capable de se dépasser, d’accéder à ce qu’il n’aurait jamais imaginé être capable de faire.
Un accompagnement bienveillant et stimulant est essentiel car rien ne démobilise plus que l’échec.
Pourtant, on pourrait se demander si mettre autant d’efforts dans le fait d’éveiller et de maintenir le désir d’apprendre n’est pas révélateur d’un dysfonctionnement de l’école : si apprendre est naturel, où passe donc la nature humaine une fois sur les bancs de l’école ?
Antoine de La Garanderie : réussir, ça s’apprend
Pour Antoine de la Garanderie, c’est la mission des enseignants d’adapter leurs stratégies d’enseignement pour que tous les élèves apprennent.
Dans le livre Réussir, ça s’apprend, il explique qu’enseigner la variété des moyens intellectuels (et notamment les procédures évocatives) aux élèves pour qu’ils les mettent en pratique leur permet de savoir ce qu’ils ont à faire pour apprendre et comprendre.
Selon lui, tous les enfants peuvent comprendre et apprendre à partir du moment où ils ont pris connaissance de leurs habitudes évocatives, c’est-à-dire de ce qui se passe dans leur tête et seulement dans la leur.
L’habitude évocative est une évocation mentale habituelle de ce qui a été perçue dans l’environnement : cette évocation peut bloquer certains apprentissages, d’autant plus si un enfant n’a pas la même habitude évocative que son/ ses enseignant(s) ou son/ses parent(s).
Selon Antoine de la Garanderie, l’habitude évocative est une structure soit visuelle soit auditive de réalités concrètes, de mots, d’opérations complexes, d’élaborations ou d’inventions.
Certains enfants n’utilisent que des images visuelles, d’autres que des images auditives pour penser. D’autres encore utilisent d’une façon plus ou moins large les deux espèces d’images. Il n’existe ni imbéciles ni incapables : si un enfant ne comprend pas, il faut lui parler dans sa langue.
Or il s’avère, comme le fait remarquer Elisabeth Nuyts, que peu d’enseignants enrichissent leurs pratiques pédagogiques pour s’adresser à tous les apprenants.
Maria Montessori : l’ambiance adaptée, le respect de la personnalité et les périodes sensibles
Matériel et ambiance adaptée
Pour Maria Montessori, l’ambiance doit réduire les obstacles au minimum. Mettre en place une ambiance appropriée ouvre une ère nouvelle de l’éducation, celle de « l’Aide à la Vie ».
Le matériel n’est pas une aide pour faire comprendre ou pour démontrer ce qu’explique le maître mais une véritable substitution à l’enseignant.
Maria Montessori affirme que l’enfant se développe au contact d’un matériel adapté car :
- le matériel enseigne d’une manière individuelle et intime,
- la matériel reste présent contrairement à la voix de l’enseignant,
- la matériel est concret et donne une dimension réelle aux choses,
- le matériel donne un retour immédiat sur l’action de l’enfant,
- le matériel évacue les aspects psychologiques de la relation maître/ élève.
Le respect de la personnalité de l’enfant
Le respect de la personnalité de l’enfant passe par la répétition des activités autant que l’enfant le souhaite et en a besoin, le libre choix des activités, l’absence de récompense et de punition.
Quand un enfant va plus lentement que ce que la norme voudrait, on a tendance à se substituer à l’enfant dans toutes les actions que celui-ci voudrait pourtant accomplir par lui-même. Cette attitude d’aide non sollicitée pour aller plus vite et se conformer à un rythme commun à tous est l’obstacle le plus puissant aux apprentissages de l’enfant.
L’enfant est naturellement guidé par sa volonté profonde et intérieure vers des apprentissages qu’il ne vit pas comme des corvées ou des contraintes mais comme des expériences que lui seul peut faire.
N’aidez jamais un enfant à faire une tâche qu’il se sent capable d’accomplir seul. – Maria Montessori
Les périodes sensibles
La période sensible correspond au moment où l’enfant s’enthousiasme et montre un intérêt supérieur.
Les périodes sensibles sont passagères et se limitent à l’acquisition d’un caractère déterminé. Une fois ce caractère développé, la sensibilité cesse. L’enfance s’écoule donc de conquêtes en conquêtes.
Grâce à ces temps forts, l’enfant dispose de potentiels particuliers qui lui permettent de faire naître des caractéristiques humaines naturellement (le langage, la marche, l’écriture…). Ces périodes sont donc des phases d’acquisition et de construction. Il y a dans les périodes sensibles des possibilités que l’adulte a perdues.
L’existence et la manifestation des “périodes sensibles” amènent l’idée que ce n’est pas l’âge qui est important mais le moment où l’enfant est vraiment prêt à apprendre avec aisance (on rejoint ici le concept d’éducation lente). Le but de l’éducation est de semer les graines de la connaissance à la bonne saison. Le bon moment pour apprendre est déterminé non pas par le calendrier d’un programme imposé mais par l’observation des besoins de l’enfant.
De la naissance à 6 ans environ, l’enfant traverse 6 périodes sensibles.
En raison de cette notion de périodes sensibles dans la pédagogie Montessori, la liberté dans les activités a une grande importance. La liberté pour l’enfant de choisir son travail lui permet d’explorer au moment opportun pour lui-même ses possibilités. La pédagogie Montessori insiste bien sur un point : l’enfant réalise la construction de sa personnalité quand il travaille tout seul sans crainte d’interruption ou de critiques. C’est alors qu’il peut expérimenter la joie de :
- raisonner,
- suivre son intuition,
- découvrir,
- travailler en autonomie.
Ces trois piliers de la pédagogie Montessori (ambiance adaptée, respect de la personnalité et des périodes sensibles) sont quasiment absents des salles de classe traditionnelles.
Bernard Collot : l’école du 3° type, une vision renversante de l’école et des apprentissages scolaires
Bernard Collot, initiateur de l’école du 3° type, explique la différence entre un système fermé et un système ouvert.
Dans un système fermé, des enfants en train de faire une dictée qui remarquent un merle posé sur le rebord de la fenêtre savent qu’ils n’ont pas intérêt à bouger, sous peine de punition. Le système pourra même se protéger en couvrant les carreaux des fenêtres dans les salles de classe ou en construisant des écoles avec des fenêtres surélevées.
Dans un système ouvert, les mêmes enfants dans le même cas vont pouvoir se lever, l’enseignant va interrompre sa dictée. Les enfants vont alors faire des observations et des propositions autour de cet événement : installer un poste d’observation avec des jumelles, construire une mangeoire, apporter des graines, rédiger un rapport d’observation, dessiner le merle… autant d’opportunités d’apprentissages (où installer le poste pour avoir la meilleure vue possible sans effrayer les oiseaux ? comment mettre en place un atelier bois pour construire la mangeoire ? quelles graines mettre dedans ? comment corriger le rapport d’observation pour le rendre lisible aux correspondants ?…). un système ouvert s’auto organise et se complexifie pour s’adapter.
Dans une école du 3° type, les adultes professionnels ont une fonction essentielle : assurer la constitution et le maintien d’une entité vivante. Ils sont d’abord les garants du fonctionnement harmonieux de cette entité. Leur pouvoir est ainsi bien perçu par les enfants ou adolescents qui, au lieu d’avoir à s’y opposer ou à le contester, y ont recours […] les adultes sont alors le plus souvent dans la position d’écoute plutôt que dans celle de se faire écouter. – Bernard Collot (Chroniques d’une école du 3° type)
Selon Bernard Collot, personne ne sait comment les enfants apprennent. Il prend l’exemple de l’apprentissage du langage : apprendre à parler est l’essence même du processus d’apprentissage. La construction du langage est la construction la plus fabuleuse, la plus complexe qu’un humain entreprenne. L’enfant parle pour appartenir (car nous sommes des êtres sociaux) et par mimétisme.
Pourtant, aucun expert n’a appris à un enfant à parler (ni à marcher d’ailleurs). D’une façon générale, le cerveau se débrouille pour apprendre quand on ne lui impose rien. Bernard Collot raconte qu’il n’a jamais diagnostiqué de cas de dyslexie dans ses classes car le cerveau a trouvé d’autres moyens de lire. Il estime que les adultes doivent être vigilants à ne pas imposer d’inhibitions cérébrales et d’élagage dans le cerveau des enfants par des méthodes pédagogiques quelles qu’elles soient.
Il n’y a donc pas de cours, ni de cahier, ni de programme, ni de notes dans une école du 3° type. L’école du 3° type pourrait se résumer à un espace riche, diversifié, mis à disposition des enfants.
Pour Bernard Collot, c’est le rôle de l’école d’offrir un environnement foisonnant à tous les enfants (avec des instruments de musique, des ordinateurs, des postes de soudure, des livres, un jardin, du matériel artistique…). Les enseignants (qu’il renomme les “permanents”) changent de mission : ils deviennent des personnes ressources, des facilitateurs. Bernard Collot ne parle même plus d’apprentissages mais de “constructions de langages” (langage mathématique, langage artistique, langage écrit, langage oral…).
Apprendre sans l’école, déjà une réalité !
André Stern : jouer et apprendre sont synonymes
André Stern n’a jamais été scolarisé et raconte son expérience de « grand enfant de 43 ans qui n’a jamais cessé de jouer » à travers des livres et des conférences. Il estime que les enfants sont tous nés avec 2 dispositions naturelles dont la nature les a dotés pour apprendre.
1. Le jeu
Il n’existe pas de dispositif plus adapté pour l’apprentissage que le jeu. Selon André Stern, il n’y a rien de mieux pour apprendre que le jeu.
2. L’enthousiasme
Le cerveau se développe là où on l’utilise avec enthousiasme. Le cerveau est capable de produire son propre engrais.
Or les enfants sont des sources inépuisables d’enthousiasme. A chaque fois qu’on s’enthousiasme pour quelque chose, des transmetteurs neuroplastiques se déversent et agissent comme un engrais pour le cerveau. Ils ne se déversent que lorsque les centres émotionnels sont activés dans le cerveau, lorsque quelque chose nous prend aux tripes, lorsque quelque chose est vraiment important pour nous (on en revient aux apports des neurosciences et de la psychologie positive sur le rôle des émotions).
A chaque fois qu’on s’enthousiasme, et quel que soit notre âge, un arrosoir déverse dans le cerveau un engrais qui fait grandir les connexions neuronales.
L’enthousiasme est nécessaire pour qu’il y ait des changements dans le cerveau. Mais on ne peut pas l’avoir sur ordonnance. Il faut que les gens soient émus, touchés dans leur cœur, « empoignés au cœur ». – Prof. Dr. Gerald Hüther
L’expérience du trou dans le mur (ou comment les enfants apprennent par eux-mêmes)
Sugata Mitra, spécialiste des sciences de l’éducation, s’est attaqué à un des plus grands problèmes de l’éducation — les meilleurs enseignants et les meilleures écoles n’existent pas là où on en a le plus besoin. Dans une série d’expériences de terrain de New Delhi à l’Afrique du Sud en passant par l’Italie, il a donné à des enfants un accès auto-supervisé au web et a constaté des résultats qui pourraient révolutionner notre conception de l’éducation.
Sugata Mitra a commencé l’expérience du Trou dans le mur par 6 années d’observations auprès d’enfants indiens : il a mis à disposition de ces enfants un ordinateur et une souris dans la rue. Aucun accompagnement adulte ni aucun enseignement n’a été proposé aux enfants pour les former à l’utilisation de l’ordinateur ou leur apprendre l’anglais (la langue dans laquelle les ordinateurs étaient paramétrés).
Sugata Mitra en a tiré plusieurs enseignements au sujet de l’auto-apprentissage :
- Les enfants apprennent à faire ce qu’ils veulent apprendre à faire. Si les enfants sont intéressés, alors l’éducation se produit. Quand vous avez l’intérêt, vous avez l’éducation.
- Des enfants de 6 à 13 ans peuvent s’auto instruire dans un environnement connecté, indépendamment de toute intervention adulte. Quand ils ont accès à un ordinateur, ils s’enseignent eux-mêmes. Des groupes d’enfants peuvent naviguer sur internet pour atteindre des objectifs éducatifs tout seuls.
- Il faut que ça se passe en groupe. Des groupes d’enfants peuvent apprendre à utiliser des ordinateurs et internet seuls, peu importe qui ils sont et où ils sont.
- La puissance de ce que peut faire un groupe d’enfants si vous supprimez l’intervention d’un adulte est énorme : apprendre à se servir d’un ordinateur, apprendre une langue étrangère, apprendre à naviguer sur internet, à télécharger de la musique, à jouer, à regarder des vidéos… en quelques mois.
- Les enfants apprennent autant en regardant qu’en faisant.
- L’enseignement primaire peut se faire de lui-même, ou en partie de lui-même. Il n’est pas nécessaire de l’imposer d’en haut. Cela pourrait prendre la forme d’un système d’auto organisation.
- Les enfants sont capables de s’auto organiser et d’atteindre un objectif éducatif en toute autonomie. Un système auto-organisé est un système où une structure apparait sans intervention explicite de l’extérieur.
L’éducation est un système qui s’auto-organise, dans lequel l’apprentissage est un phénomène émergent. – Sugata Mitra
Jean-Pierre Lepri : la fin de l’éducation
Jean-Pierre Lepri est un ancien enseignant français très critique vis-à-vis du système éducatif : pour lui, les êtres humains n’ont pas besoin d’éducation car le seul fait que quelqu’un décide pour un autre pose problème. Il estime que l’éducation n’est pas autre chose que préparer systématiquement les nouvelles générations à une relation dominant-soumis.
Pour lui, l’école a tellement imprégnée la société et nos mentalités que nous avons du mal à admettre qu’apprendre est distinct d’enseigner et n’a pas de relation directe avec éduquer/ enseigner/ former.
L’alternative à l’éducation, c’est l’apprendre. Apprendre est centré sur l’apprenant. On apprend bien des choses qui ne nous ont pas été enseignées.
C’est parce qu’il est privé de son apprendre naturel (par l’éducation) que l’être humain croit qu’il a besoin d’éducation pour apprendre.
Jean-Pierre Lepri apporte des réflexions issues de l’expérience d’apprendre :
- apprendre est un acte distinct de celui d’enseigner,
- apprendre est indépendant de l’enseignement,
- j’apprends ce qui a du sens pour moi,
- les résultats de l’enseignement sont souvent ou insignifiants ou nuisibles car l’enseignement peut être un obstacle à l’apprendre,
- apprendre est un instinct, permanent, lié à la vie même,
- apprendre est inévitable et gratuit,
- apprendre est illimité,
- apprendre, c’est incorporer (je ne fais qu’un avec mon savoir),
- j’apprends seul, mais des autres et du monde,
- apprendre, c’est faire mal ce que je ne sais pas encore faire,
- apprendre est invisible,
- j’apprends lorsque ce que j’apprends entre dans ma zone prochaine de développement,
- la conscience (même diffuse) que j’ai quelque chose à apprendre est la clé de mon apprendre,
- apprendre, c’est voir ce qui était déjà là et que je ne voyais pas encore.
Pour Jean-Pierre Lepri, l’éducation ne fait rien en propre. Ce qui est déterminant n’est ni la nature de l’éducation, ni l’absence d’éducation mais le milieu qui m’entoure. Ce qui joue n’est pas tant telle ou telle éducation mais quel milieu accueille l’apprenant, le nouvel arrivant. Car nous apprenons par imitation (par le jeu des neurones miroirs principalement) et donc par l’observation de ce que nous allons imiter
Ainsi, la société pourrait se passer d’éducation : les nouveaux arrivants continueraient à s’y intégrer et à acquérir ce qui leur permet de survivre dans cette culture propre.
John Holt : les apprentissages autonomes
John Holt affirme que les enfants s’instruisent eux-mêmes sans enseignement.
On peut facilement observer que les enfants sont passionnément désireux de comprendre le plus possible le monde qui les entoure, qu’ils sont très doués pour cela et qu’ils le font à la manière de scientifiques, en créant de la connaissance à partir de l’expérience. Les enfants observent, s’interrogent, découvrent, élaborent et ensuite ils testent les réponses aux questions qu’ils se posent. Quand on ne les empêche pas de faire toutes ces choses, ils continuent à les faire et ils deviennent de plus en plus compétents. – John Holt
Dans son livre Les apprentissages autonomes, il écrit :
Que fait-on quand on est en train d’apprendre, quand on crée de l’apprentissage ?
Eh bien, on observe, on regarde, on écoute. On touche, goûte, sent, manipule et parfois on mesure et calcule. Et on s’interroge, on se dit : “Pourquoi cela ?” ou “Pourquoi est-ce comme ça ?” ou “Est-ce que cette chose produit cet effet ?” ou “Qu’est-ce qui fait que cette chose arrive ?” ou “Est-ce qu’on peut la faire arriver différemment ou mieux ?”; ou encore “Est-ce qu’on peut faire disparaître la larve de hanneton des plants de salade ?” ou “Peut-on produire plus de fruits ?” ou “Peut-on réparer la machine à laver ?” ou que sais-je.
Et nous inventons des théories, ce que les scientifiques nomment des hypothèses; nous avons des intuitions, nous nous disons : “Peut-être est-ce dû à ceci” ou “est-ce que cela ne pourrait pas être à cause de cela ?” ou “Peut-être que si je fais ceci, cela va se produire.” Et ensuite nous testons ces théories ou ces hypothèses.
Nous pouvons les tester simplement en posant des questions à des personnes dont nous pensons qu’elles en savent plus que nous, ou nous pouvons les tester par une observation plus approfondie.
Nous pouvons nous dire : “Je ne sais pas trop ce qu’est cette chose, mais peut-être que si je la regarde encore je vais trouver.” Ou bien peut-être allons nous planifier des expériences : ” Je vais essayer de mettre ça sur les plants de salade et voir ce que ça fait sur les larves de hanneton” ou “Je vais essayer autre chose”.
Et, à partir de tout cela, de différentes manières, nous découvrons que notre intuition n’était pas si bonne, ou au contraire, qu’elle était excellente, et nous continuons, nous observons encore, nous spéculons encore. Nous posons plus de questions, nous élaborons plus de théories et nous les testons.
Ce processus crée de l’apprentissage et nous le faisons tous. […] Et c’est exactement ce que font les enfants. Ils travaillent d’arrache pied à ce processus à chaque instant de la journée. Quand ils ne sont pas en train de manger ou de dormir (et encore), ils créent du savoir. Ils observent, pensent, spéculent, théorisent, testent et expérimente en permanence et ils sont bien meilleurs que nous, adultes, à ces tâches. L’idée même que nous pourrions enseigner à des enfants comment apprendre a fini par m’apparaître totalement absurde.
Or l’un des principaux problème de l’école est qu’on demande souvent aux enfants de répéter comme quelque chose de logique quelque chose qui ne leur semble pas du tout (ou pas encore) logique.
Ils finissent par accepter comme une vérité tout ce que l’autorité dit et ils n’essaient plus de tester ou de vérifier. Après plusieurs années sur les bancs de l’école, ils oublient même comment tester.
John Holt a consacré beaucoup de son temps à proposer des alternatives à l’école (plutôt que des écoles alternatives). Dans son ouvrage Apprendre sans l’école, il cite plusieurs de ces alternatives :
- l’instruction en famille (unschooling ou apprentissage autonome sans enseignement)
- la fin de l’instruction obligatoire : des écoles fréquentées par choix, des professeurs choisis par des apprenants volontaires
- les réseaux d’échange de savoirs
- les médiathèques
- la presse
- les vidéos ou tutoriels sur Internet
- la méthode Suzuki pour la musique
- se filmer, s’enregistrer, se regarder dans un miroir pour la pratique d’un sport ou de la musique (pour avoir un feedback et s’auto corriger)
- contacter des personnes ressources
Pour autant, le rôle des adultes est prépondérant : ils doivent être attentifs, bienveillants et suffisamment présents pour mettre à disposition des ressources qui pourront aider les enfants, tout en restant vigilants à ne pas chercher à faire aller les enfants là où ils n’ont pas le projet d’aller.
En cela, John Holt distingue le P-rofesseur du p-rofesseur. Un P-rofesseur croit (et arrive à convaincre ses élèves) que tout ce qu’ils apprennent doit être enseigné.
Un p-rofesseur est un “coach” qui ne s’impose pas mais qui est disponible quand on le sollicite : il soutient l’apprenant en étant présent, en posant des questions, en disant à l’enfant qu’il est sur le bon chemin quand c’est le cas, en répondant aux questions qui lui sont posées. Le p-rofesseur augmente progressivement la difficulté des exercices, donne des feedbacks, encourage l’apprenant à s’auto corriger et à développer ses propres critères de réussite. La tâche primordiale de tout p-rofesseur est d’aider l’apprenant à ne plus dépendre de lui, de lui apprendre à être son propre professeur.
Le vrai p-rofesseur doit toujours être en train de travailler à sa mise au chômage. – John Holt
Léandre Bergeron : l’art de ne pas enseigner
Léandre Bergeron était enseignant et a fait le choix de vivre des produits de sa ferme dans la campagne canadienne. Il raconte dans son livre les motivations de ses choix et décrit l’enfance de ses 3 filles non scolarisées (aujourd’hui trentenaires). On y apprend que ses filles sont nées à la maison, que lui-même et sa femme ne les ont jamais laissées pleurer, qu’ils n’ont jamais cherché à les « enseigner » ou à les « éduquer ».
Voici son approche de l’apprendre :
J’ai toujours envisagé toute question de leur part comme d’une importance capitale pour elles et qui, de ce fait, méritait toute mon attention. Si je ne pouvais pas répondre à l’instant, je m’assurais de le faire à leur convenance plus tard. Mais, surtout ne pas étirer la réponse, pêché capital des enseignants et des parents scolarisés bien attentionnés. Savoir s’arrêter quand l’intérêt de l’enfant n’y est plus. Et ça se voir facilement dans le regard de l’enfant qui quitte le vôtre.
Apprendre à ne pas enseigner, c’est-à-dire à ne pas transmettre des connaissances à tout prix, à ne pas forcer la dose, à ne pas être obsédé par l’accumulation de connaissance chez notre enfant comme s’il devait subir un examen dans l’heure qui suit.
Il n’y avait rien à faire qu’à les laisser jouer à leur guise, tant qu’elles voulaient, pour qu’elles apprennent ce qu’elles avaient besoin de savoir à leur âge. Pourquoi est-ce qu’elles devraient savoir lire et écrire avant d’avoir besoin de lire et écrire ? Pourquoi faire du plaisir d’apprendre une torture en l’imposant prématurément ?
Quel besoin mes filles avaient-elles de lire à sept, huit ou dix ans ? Aucun. Quel besoin avaient-elles de compter, additionner, soustraire ? Aucun. Jusqu’à ce que dans leurs jeux à elles, elles sentent un manque et cherchent à le combler.
Moi, je ne suis qu’un assistant disponible.
L’important, ce n’est peut-être pas d’arriver au but que l’on peut se fixer mais le processus dans lequel on s’engage.
Pas d’obligation, pas de stress, pas de tests, pas de tension, pas d’autorité. Le seul désir d’apprendre les pousse à faire accorder les adjectifs avec les noms, les participes passés avec le sujet s’ils sont conjugués avec « être ».
Comment oser dire que les enfants qui ne fréquentent pas l’école ne vont pas développer leur sociabilité ? C’est tout le contraire que je constate. Car la socialisation forcée des écoles ressemble à la socialisation des prisons plutôt qu’à l’épanouissement des relations humaines chaleureuses.
Un enfant qui doit faire une tâche pour « apprendre à travailler » n’apprend rien de plus que l’obéissance.
Un être soumis est une bombe à retardement.
Ce qui m’amène à parler de la facilité avec laquelle les enfants s’intègrent à la vie active des adultes quand ils en ont la chance. On dirait même que c’est naturellement ce qu’ils veulent faire alors que l’école s’entête à l’interdire systématiquement.
Peter Gray : le jeu libre au cœur d’apprentissage
Peter Gray est un psychologue américain, qui s’est spécialisé dans l’étude du jeu chez les enfants. Il est l’auteur du livre Free to Learn dans lequel il expose sa théorie : quand on laisse les enfants poursuivre leurs propres intérêts à travers le jeu, ils apprendront non seulement tout ce dont ils ont besoin pour mener la vie qui leur correspond mais ils le feront également avec énergie et passion, contribuant à leur bonheur.
Les enfants viennent au monde désireux d’apprendre et équipés avec les meilleurs outils pour parvenir à cette fin : la curiosité, le jeu et la sociabilité.
Les enfants sont biologiquement programmés pour s’éduquer eux-mêmes et apprennent naturellement de manière joyeuse, à travers le jeu, le questionnement et l’exploration.
Si on fournit aux enfants les conditions pour qu’ils s’éduquent eux mêmes (on en revient à l’importance de l’ambiance, des ressources mises à disposition, du groupe de pairs et de la présence d’adultes bienveillants qui ne s’imposent pas), on peut se passer des écoles telles qu’on les connaît aujourd’hui.
Peter Gray regrette que nous enlevions aux enfants toutes les choses dont ils ont besoin pour s’épanouir en cherchant à les faire rentrer dans un moule, dans un système qui a montré ses trop nombreuses limites.
Est-ce qu’on force les enfants à respirer ? Pourquoi alors forcerait-on les enfants à apprendre alors qu’on sait qu’ils le font naturellement ?
Pourquoi les enfants devraient-ils tous apprendre la même chose, au même moment, au même âge et de la même manière alors que chaque vie est unique et organique (le contraire même de standardisé et linéaire…) ?
Il propose de passer à une éducation sans coercition, non standardisée, plus conforme à la vie, c’est-à-dire qui prenne en compte l’imprévu, la richesse de la diversité des opinions, des intérêts, des passions, des talents, qui reconnaisse la valeur et le potentiel de chaque enfant.
Les enfants sont conçus pour apprendre dans la joie et de manière auto dirigée. C’est cruel de les priver de ces mécanismes naturels et parfaitement adaptés, au risque de créer des dysfonctionnements que nous corrigerons avec encore plus de souffrance et/ou d’inefficacité.
Pour Peter Gray, les écoles démocratiques sur le modèle de Sudbury School remplissent les 6 conditions qu’il estime essentielles à l’éducation des enfants.
>>>Des exemples de l’acquisition de compétences dans un cadre auto dirigé, tel que préconisé par Peter Gray (sur le blog de l’Ecole Autonome, une école de type Sudbury en Belgique) :
- Les mathématiques : Les enfants apprennent les maths facilement quand ils contrôlent leur propre apprentissage
- La lecture : Les enfants apprennent tout seuls à lire
Ivan Illich : le projet d’une société sans école
Pour Ivan Illich, l’école est l’agence de publicité qui nous fait croire que nous avons besoin de la société telle qu’elle est et que seule la scolarité est capable de préparer à l’entrée dans la société.
Il en résulte que ce qui n’est pas enseigné à l’école n’a aucune valeur et, du même coup, ce que l’on apprend en dehors d’elle (et non sanctionné par des diplômes) ne vaut pas la peine d’être connu.
L’enseignement fondé sur des programmes en vue de l’obtention d’un diplôme est nocif pour Ivan Illich. Il appelle à une révolution éducative fondée sur :
- le libre accès aux choses (en abolissant le contrôle que des personnes privées et des institutions exercent sur leur valeur éducative)
- le libre partage des compétences (en garantissant le droit d’enseigner ou de démontrer ces compétences à la demande)
- la facilitation et l’encouragement du droit à tenir des réunions par des personnes individuelles (pouvoir de plus en plus détenu par des institutions qui prétendent parler au nom du peuple)
- la libération des individus de l’obligation de modeler leurs espérances conformément aux services que peuvent leur offrir les professions établies (en leur permettant de disposer de l’aide de leurs pairs, de profiter de leur expérience et de se confier à l’enseignant, au guide, au conseiller, au guérisseur de leurs choix).
Au delà d’une abolition de l’école obligatoire, Ivan Illich prône une déscolarisation de la société toute entière : il estime que non seulement l’éducation mais aussi la réalité sociale se sont scolarisées.
On en vient à considérer aussi irresponsables les personnes qui se soignent seules que les personnes qui acquièrent seules leur instruction. La scolarisation de la société nous conduit à penser que seules les institutions étatiques peuvent entreprendre un traitement de qualité (soit fourni directement par l’État, soit validé et contrôlé par lui). Par conséquent, tout accomplissement personnel en marge des institutions est matière à suspicion.
Le seul but qu’il faudrait poursuivre est d’assurer à tous des possibilités éducatives égales : le droit à l’éducation ne devrait pas être confondu avec l’obligation de scolarité.
…………………………………………………………….
Ainsi, on le voit, apprendre ne se résume pas à aller à l’école. Apprendre, c’est vivre et vivre, c’est apprendre. Bernard Collot affirme même qu’un jour, nous balayerons le mot apprentissage de notre vocabulaire !
Les questions sur l’apprendre deviennent alors philosophiques :
- quelqu’un a-t-il le droit de décider de ce que je dois apprendre (c’est le cas à l’école obligatoire) et quand je dois l’apprendre ?
- peut-on obliger quelqu’un à apprendre quelque chose qu’il ne veut ou peut pas apprendre ?
- quelqu’un a-t-il le droit de hiérarchiser les savoirs et les contenus des apprentissages ? tous les apprentissages se valent-ils ?
- autrement dit, est-ce acceptable de considérer qu’apprendre à manier une arme dans un gang ou apprendre à envoyer un texto en cours sans se faire prendre sont des apprentissages au même titre et de même valeur qu’apprendre à lire ou à résoudre des problèmes mathématiques relevant des 4 opérations ?
- peut-on envisager une société où chacun apprendrait ce qu’il veut, abandonnant l’idée même de programmes scolaires (c’est le modèle des écoles Sudbury) ?
- est-on toujours dans une société qui prône l’égalité et la liberté quand une partie de sa population (les enfants de 6 à 16 ans en France) sont soumis à des programmes d’apprentissages obligatoires et à une hiérarchie des filières, des diplômes ?
- l’école obligatoire est-elle une chance, un mal nécessaire ou peut-on envisager une société sans école (ou du moins une école différente et non obligatoire) ?
- un trouble de l’apprentissage n’est-il pas finalement un trouble de l’apprentissage à l’école, voire un trouble de l’enseignement ?
- les troubles de l’apprentissage demeureront-ils toujours des troubles dans le cadre d’apprentissages autonomes et informels ?
Mon propos est d’éveiller des questionnements, je suis moi-même en cheminement sur ces questions-là. Par exemple, j’ai besoin de me savoir entre les mains d’un chirurgien dont les compétences ont été validées par un doctorat avant d’être opérée.
Je ne prétends pas à l’exhaustivité du sujet et je n’ai pas de réponses claires et tranchées à proposer, chacun cheminant à son rythme sur ces questions en fonction de son niveau de conscience et de sa volonté.
En revanche, les quelques éléments que j’ai mentionnés peuvent apporter un éclairage sur les raisons qui conduisent à la multiplication des écoles alternatives, à la croissance du nombre d’enfants instruits en famille ou encore à la mode du “hacking de l’éducation”.