Les styles d’apprentissage n’existent pas (visuels, auditifs, kinesthésiques) : c’est un neuromythe
Les styles d’apprentissage n’existent pas (visuels, auditifs, kinesthésiques) : c’est un neuromythe
Les auteurs du livre Les neurosciences en éducation passent en revue plusieurs neuromythes dont celui des styles d’apprentissage. Pourquoi peut-on dire que les styles d’apprentissage sont un neuromythe ?
Comprendre la théorie des styles d’apprentissage
On parle de styles d’apprentissage dès lors qu’une différence entre des groupes d’individus permet de développer des méthodes d’apprentissage distinctes, bénéficiant chacune au groupe correspondantLes styles d’apprentissage n’existent pas (visuels, auditifs, kinesthésiques) : c’est un neuromythe
La théorie des styles d’apprentissage repose sur l’idée que certains élèves sont « visuels », d’autres « auditifs » et d’autres encore « kinesthésiques ». Ces élèves apprendraient mieux quand les leçons leur seraient présentées en fonction de leurs profils (respectivement, sous forme graphique, auditive ou tactile).
La mémorisation et la compréhension serait meilleure lorsque la modalité d’apprentissage utilisée correspond à la modalité préférée de l’élève.
Quelle réalité des styles d’apprentissage ?
La palette est large puisque les styles d’apprentissage vont au-delà du triptyque visuel/ auditif/ kinesthésiques. Coffield (2004) en a répertorié 71 déclinaisons en combinant visuel, auditif ou kinesthésique; cerveau droit ou cerveau gauche; analytique ou synthétique; rationnel ou émotionnel; cérébral ou intuitif…
Par ailleurs, on pourrait ajouter que la théorie des styles d’apprentissage ne prend pas en compte tous les sens (l’odorat par exemple).
Pourquoi la théorie des styles d’apprentissage est-elle populaire ?
Trois facteurs principaux concourent à la popularité de la théorie des styles d’apprentissage (auprès du grand public, des parents et des enseignants). Il en va d’enjeux commerciaux, d’une certaine idée humaniste et de l’intuition que le monde est plus intelligible quand on le découpe en catégories.
Les enjeux commerciaux
Qui dit styles d’apprentissage dit intérêt de les déceler chez chaque humain pour les exploiter, et de nombreuses entreprises commercialisent des tests, des méthodes d’apprentissage, du matériel pédagogique, des formations…
L’idée selon laquelle chaque élève pourrait (mieux) réussir
Une idée de bonne foi qui fait la popularité de la théorie des styles d’apprentissage est que, grâce à des méthodes d’instruction prenant en compte les spécificités de chaque élève, les talents qui resteraient latents dans un contexte uniformisé seront révélés.
Prendre en compte les styles d’apprentissage serait une garantie pour la réussite de tous à l’école.
Les catégories donnent un sens au monde
C’est dans la nature humaine de vouloir catégoriser pour mieux comprendre… quitte à trop simplifier et élaborer des concepts flous, voire incorrects. La majorité des théories des styles d’apprentissage classent les individus selon différents types et ces catégories donnent sens à ce qui nous entoure.
Pourquoi parler de neuromythe pour les styles d’apprentissage ?
Il existe des manquements de la théorie des styles d’apprentissage qui conduisent les neuroscientifiques à parler de neuromythe.
Un continuum plutôt que des catégories fixes (une graduation d’appartenance)
Les manières d’apprendre ne sont pas en tout ou rien, mais s’inscrivent en général sur un continuum, c’est-à-dire avec des degrés plus ou moins élevés d’appartenance à une catégorie. C’est pourtant l’inverse que propose la théorie des styles d’apprentissage : elle classe les personnes en groupes distincts, plutôt que de leur attribuer des scores selon différentes dimensions,
Le fait que les appartenances catégorielles ne soient pas en tout ou rien signifie que tous les degrés d’affiliation existent. Cela mine potentiellement une approche différenciée par catégories d’individus dans la mesure où chacun se situerait le long d’un continuum, et non pas au sein d’un groupe clairement délimité. – Emmanuel Sander et collectif
Des différences au sein d’une même catégorie
Emmanuel Sander et collectif remarquent que l’hétérogénéité intracatégorielle est largement ignorée dans les travaux sur les styles d’apprentissage, qui défendent la catégorie d’appartenance comme la seule information pertinente.
Des recouvrements d’une catégorie à l’autre
Une catégorie n’exclut pas un possible recouvrement avec les catégories voisines.
Les travaux en neurosciences de l’équipe de Jack Gallant (Huth, Nishimoto, Vu & Gallant, 2012) ont apporté des éléments indiquant l’existence d’une carte cérébrale continue des catégories. Ce phénomène corrobore l’existence d’un continuum d’appartenance à telle ou telle catégorie, à l’inverse de l’idée selon laquelle chaque concept correspondrait à l’activation cérébrale d’une zone spécifique clairement délimitée.- Emmanuel Sander et collectif
Des études qui déconstruisent la théorie des styles d’apprentissage
Aucune étude n’a réussi à prouver l’efficacité des styles d’apprentissage sur les résultats scolaires
Emmanuel Sander et collectif mentionnent plusieurs études sans faiblesses méthodologiques identifiées qui font état d’observations allant à l’encontre de la théorie des styles d’apprentissage.
Ainsi, certaines études rapportent que des groupes ayant suivi des méthodes adaptées à leurs préférences d’apprentissage n’apprennent pas mieux que des groupes ayant suivi des méthodes non adaptées à leurs préférences. Par exemple, des élèves dits « visuels » atteignent des performances similaires, qu’ils reçoivent un enseignement sous une forme picturale ou verbale (Massa & Mayer, 2006 ; Cook, Thompson, Thomas & Thomas, 2009).
D’autres études font état de méthodes d’apprentissage fondées sur un style particulier donnant lieu à de meilleurs scores indépendamment du « style » des élèves (Constantinidou & Baker, 2002).
La quasi-absence de travaux mettant en avant le moindre effet positif de l’adaptation des méthodes d’enseignement aux profils d’apprentissage identifiés chez des élèves suggère que la théorie des styles d’apprentissage n’a pas sa place à l’école.
La théorie des styles d’apprentissage va à l’encontre des travaux sur l’anatomie du cerveau humain
Focaliser l’apprentissage sur une seule modalité sensorielle (ou visuelle, ou auditive, ou kinesthésique) va à l’encontre des résultats d’un ensemble de travaux sur l’anatomie du cerveau humain, et sur le fonctionnement de la mémoire en particulier.
Emmanuel Sander et collectif mentionnent une étude menée par Campbell et Brammer (2000). Cette étude consiste à présenter des des stimulus auditifs (des phrases enregistrées), visuels (des vidéos présentant des lèvres bouger lors de la prononciation inaudible de phrases), ou combinés (des vidéos de lèvres en mouvement accompagnées de phrases enregistrées).
Les résultats de cette étude ont montré que certaines régions du cerveau s’activaient seulement quand une phrase était présentée simultanément sous le format auditif et visuel. Les informations intégrées dans le cerveau proviennent de différentes sources sensorielles.
De manière générale, les activités humaines impliquent le recours à plusieurs modalités sensorielles, et donc l’intégration d’informations provenant de plusieurs sources. – Emmanuel Sander et collectif
Quelques recommandations (souvent déjà prises en compte par les enseignants) pour dépasser le neuromythe des styles d’apprentissage ?
Emmanuel Sander et collectif rappellent que la graduation d’appartenance, l’hétérogénéité intracatégorielle et les recouvrements intercatégoriels appellent à des raffinements opposés aux approches clivantes recommandées par la théorie des styles d’apprentissage.
Par ailleurs, le fait que les élèves mentionnent des préférences en termes d’évocation (visuelle, auditive, kinesthésique) ne permet pas de déduire qu’un apprentissage guidé par cette préférence serait plus efficace qu’un autre.
La littérature scientifique conclut à l’intérêt de la présentation multimodale d’informations pour acquérir des connaissances. Cette conclusion n’est d’ailleurs pas une surprise pour les enseignants : plutôt que d’utiliser les supports visuels, auditifs ou tactiles de manière isolée, la quasi totalité des enseignants ont fait eux-mêmes l’expérience d’un apprentissage plus efficace quand ils proposent des supports aux différentes modalités sensorielles à leurs élèves, indépendamment du style d’apprentissage qui avait pu leur être assigné initialement.
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Source : Les neurosciences en éducation de Emmanuel Sander et collectif (éditions Retz). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur les sites de ecommerce.
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