Les arts pour accompagner les enfants et adolescents traumatisés (théâtre, danse, rythme, chant)

Traiter le traumatisme par le théâtre

art enfants traumatisés

Bessel Van der Kolk est un psychologue américain, spécialiste du traumatisme. Dans son livre Le Corps n’oublie rien, il témoigne de l’efficacité du théâtre dans le traitement des traumatismes (que ce soit regarder une pièce de théâtre ou bien jouer dans une pièce de théâtre).

Il écrit que, pour trouver sa voix, on doit être en prise avec son corps, capable de respirer pleinement et d’accéder à ses sensations. C’est le contraire de la dissociation, de l’expérience extracorporelle et de la dépression, de l’avachissement devant un écran offrant une distraction passive. Or, quand on joue la comédie, on se sert de son corps pour prendre sa place dans la vie.

Van der Kolk rappelle que, depuis la nuit des temps, les hommes ont utilisé des rites collectifs pour faire face à leurs sentiments les plus puissants et les plus terrifiants. Dans cette optique, la tragédie grecque peut avoir servi de rite de réintégration aux anciens combattants.

Regarder des pièces de théâtre

Bessel Van der Kolk raconte avoir assisté à une lecture d’Ajax ( tragédie grecque de Sophocle) à Cambridge, Massachusetts, alors que les médias américains venaient d’annoncer une hausse de 17 %, en trois ans, du taux de suicide des anciens combattants. Les spectateurs étaient composés de vétérans du Vietnam, d’épouses de militaires, d’hommes fraîchement démobilisés et de femmes qui avaient servi en Irak et en Afghanistan. Suite à la représentation, ils se sont succédé au micro en témoignant que certaines répliques de la pièce représentaient avec exactitude leurs insomnies, leur dépendance à la drogue et le fait qu’ils se sentaient éloignés de leur famille. L’atmosphère était électrique et, ensuite, les spectateurs ont formé des petits groupes dans le foyer.

Tous ceux qui ont été en contact avec la douleur extrême, la souffrance et la mort n’ont aucun mal à comprendre la tragédie grecque. C’est un témoignage vibrant des histoires des vétérans. – Bryan Doerries (metteur en scène)

Faire du théâtre

Bessel Van der Kolk expose des initiatives américaines de traitement du traumatisme par le théâtre (enfants placés, adolescents en décrochage scolaire, anciens combattants) . Toutes ces méthodes reposent sur un même principe : une confrontation avec les réalités douloureuses de la vie et une transformation symbolique par l’action collective.

Le psychologue regrette que notre culture nous pousse à nous couper de la vérité de nos sentiments. A l’inverse, l’amour et la haine, l’agression et l’abdication, la loyauté et la trahison sont au cœur du théâtre… et du traumatisme.

Les traumatisés sont terrifiés par leurs émotions. Ils craignent de les ressentir, car elles peuvent les conduire à une perte de contrôle. À l’inverse, le théâtre porte à incarner les passions, à leur donner voix et à entrer dans la peau de plusieurs personnages. Se sentir maudit et coupé des autres est, on l’a vu, l’essence même du traumatisme. Le théâtre permet une confrontation collective aux réalités de la condition humaine. – Bessel Van der Kolk

Ainsi, le théâtre donne aux traumatisés (qui cherchent en permanence à cacher à quel point ils sont furieux, effrayés ou impuissants) une occasion de communiquer en éprouvant intensément leur condition humaine. Par exemple, les victimes de traumatisme redoutent les conflits (par peur de prendre le contrôle, par peur de perdre, à cause de leur mémoire traumatique qui s’allume). Or le conflit est l’âme même du théâtre, qui traite des conflits intérieurs, familiaux et sociaux, et de leurs conséquences.

Au théâtre, on cherche des moyens de dire la vérité et de transmettre au public des vérités majeures. Cela oblige à lutter contre ses blocages pour découvrir sa vérité, à explorer son intériorité afin de l’exposer sur scène par sa voix et son corps. – Bessel Van der Kolk

 

Des cours de théâtre thérapeutique : procéder lentement et jouer avec les sensations corporelles

Amener à la pleine attention, la pleine “présence”

Les cours de théâtre thérapeutiques ne sont pas destinés aux acteurs en herbe, mais à des adolescents timides, sur les nerfs et agités (mais aussi à des vétérans alcooliques, renfermés et brisés).

Lors de leurs premières sessions, les personnes traumatisées se tassent sur leur chaise. Les adolescents traumatisés sont inhibés, frondeurs et sans but, ils manquent de coordination et ont du mal à s’exprimer. Ils sont trop surexcités pour remarquer ce qui se passe autour d’eux. Par ailleurs, ils s’énervent facilement et se défoulent physiquement plutôt que verbalement.

Bessel Van der Kolk convient qu’il faut procéder lentement, en les poussant à s’engager peu à peu. La première difficulté est simplement de les amener à être plus présents, en pleine attention.

Kevin Coleman, le metteur en scène de Shakespeare in the Courts qui travaille main dans la main avec les cours de justice du comté de Berkshire (Etats-Unis), décrit son travail avec les adolescents traumatisés en ces mots :

« D’abord, on leur demande de se lever et de marcher autour de la salle. Puis on commence à créer un équilibre dans l’espace, pour qu’ils n’errent pas au hasard, mais prennent conscience des autres.

Graduellement, avec quelques indications, ça devient plus complexe : “Marchez juste sur la pointe des pieds, sur les talons, ou en arrière. Ensuite, quand vous vous heurtez à quelqu’un, criez et tombez.”

Au bout d’une trentaine de consignes, ils agitent les bras et échauffent tout leur corps, mais c’est progressif. Si on fait un trop grand pas, ils n’arrivent pas à suivre. « Il faut les exercer à remarquer tranquillement les autres.

Quand leur corps est un peu plus libre, je demande : “Ne regardez personne en face – fixez juste le sol.” Là, presque tous se disent : “Génial, je le fais déjà.”

Mais j’ajoute alors : “Commencez à observer les gens en passant devant eux, mais arrangez-vous pour qu’ils ne le voient pas”, puis : “Regardez un instant quelqu’un en face” et : “Maintenant, ne le regardez pas dans les yeux… Maintenant, fixez-le… et détournez la tête.

Ensuite, regardez-le en face et soutenez son regard… trop longtemps. Vous saurez quand ce sera trop long parce que vous aurez envie, soit de sortir avec lui, soit de lui faire sa fête. C’est cela, trop longtemps.” ».

Travailler la synchronisation et la confiance en l’autre

Dans les cours de théâtre thérapeutique, les animateurs utilisent des exercices en miroir pour aider les adolescents traumatisés à s’accorder.

Ils lèvent un bras, et leur partenaire les imite ; ils pivotent sur eux-mêmes, l’autre tournoie en réponse.

Ils apprennent ainsi à observer les changements de posture, la manière dont leurs gestes naturels diffèrent de ceux des autres, tout comme leur réaction à un mouvement bizarre.

Imiter les aide à moins se préoccuper du jugement des autres et à s’adapter viscéralement, pas cognitivement, à l’expérience des gens autour d’eux.

Lorsque ces exercices s’achèvent par des rires, c’est un signe qu’ils se sentent en sécurité.

Pour devenir de vrais partenaires, ils doivent aussi apprendre à se faire confiance mutuellement. L’exercice qui consiste à marcher les yeux bandés pendant qu’un autre les conduit par la main est particulièrement difficile pour ces jeunes.

Souvent, ils trouvent aussi terrifiant d’être guides, de voir une personne vulnérable se fier à eux, que d’être dirigés avec un bandeau sur les yeux.

Au début, ils tiennent peut-être dix à vingt secondes, puis, peu à peur, il vont jusqu’à cinq minutes. Après, certains éprouvent la nécessité de s’isoler un moment, parce que c’est trop perturbant émotionnellement. Les enfants traumatisés ont généralement peur de se montrer, craignent d’aborder leurs sentiments et gardent leurs distances.

La tâche du metteur en scène, comme du thérapeute, est de leur donner le temps de nouer un rapport avec eux-mêmes, avec leur corps. Le théâtre offre un moyen exceptionnel d’accéder à toute une gamme d’ émotions et de sensations qui, non seulement les mettent en contact avec le « décor » habituel de leur corps, mais les amènent aussi à explorer d’autres moyens de s’engager dans la vie. – Bassel Van der Kolk

 

La parole, la danse, le chant, les mouvements rythmiques et la respiration à l’école

Bassel Van der Kolk ajoute que la parole, la danse, le chant et le pas cadencé sont des moyens purement humains de se remettre collectivement d’un traumatisme. Pour lui, les dernières choses à supprimer des programmes scolaires sont la chorale, l’éducation physique, la récréation.

Van der Kolk rapporte dans son livre plusieurs expériences d’approches thérapeutiques pour guérir les enfants traumatisés (ou du moins leur permettre d’être à nouveau en contact avec leurs propres sensations et émotions et d’interagir à nouveau avec les autres de manière appropriée). Voici quelques exemples pour enclencher le système de sécurité du cerveau des enfants :

  • À partir de gestes simples, fondés sur un accord rythmique de passes avec un ballon, il est possible de créer un petit lieu sûr où le système d’engagement social peut commencer à se reconstruire.
  • Tambouriner en rythme est également bénéfique, ainsi que chanter dans une chorale.
  • Des établissements de soin, comme la clinique d’intégration sensorielle de Watertown (Massachusetts), est un grand terrain de jeux, équipé de balançoires, de piscines à balles multicolores (si profondes qu’on peut y disparaître), de tunnels en plastique invitant à ramper et d’échelles menant à des plates-formes d’où les enfants peuvent se jeter sur des matelas en mousse.
  • Apprendre à respirer calmement et à prendre des inspirations profondes a des effets sur l’ensemble du corps

De plus en plus d’enseignants, notamment en maternelle, ont recours à des techniques car ils doivent composer tous les jours avec des cerveaux immatures et des conduites impulsives. Comme la régulation émotionnelle est cruciale pour gérer les effets de l’abandon et du traumatisme, la société entière gagnerait beaucoup à ce que les enseignants (mais aussi les pédopsychiatres, tout personnel éducatif ou soignant et les familles d’accueil) soient rompus aux techniques de respiration et de pleine conscience.

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Source : Le Corps n’oublie rien : Le cerveau, l’esprit et le corps dans la guérison du traumatisme de Bessel Van der Kolk (éditions Albin Michel). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.

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