4 idées reçues sur l’apprentissage à déconstruire (mouvement, silence, émotions, jeu)
4 idées reçues sur l’apprentissage à déconstruire (mouvement, silence, émotions, jeu)
Il existe des idées reçues sur l’apprentissage et leur réalité. Ces idées reçues courantes peuvent limiter le potentiel d’apprentissage à tout âge. Il est important de les remettre en question pour adopter des approches plus efficaces basées sur les recherches en sciences cognitives.
Idée reçue n°1 : “Tiens toi tranquille”, arrête de bouger”. Bouger et apprendre seraient incompatibles.
Parmi les idées reçues sur l’apprentissage, il y a la nécessité d’être immobile et assis à un bureau pour apprendre. C’est plutôt l’inverse : le mouvement crée l’intelligence et les élèves étouffent leur potentiel cérébral en restant immobiles. Bob Murray, pédiatre américain (chercheur à l’Ohio State University), a compilé des études qui montrent que les enfants apprennent mieux après une pause au cours desquelles ils ont pu bouger et jouer.
Si vous voulez qu’un enfant soit attentif et reste concentré sur une tâche, si vous voulez qu’il retienne une information, vous devez leur fournir des pauses régulières. – Bob Murray
Bouger aide donc à apprendre. Une autre étude américaine parue dans Pediatrics a montré que les enfants qui font au moins une heure d’activité physique après l’école améliorent leurs capacités d’attention et d’apprentissage.
Utiliser le corps pour apprendre, c’est favoriser le développement des fonctions cognitives des enfants. – Pailleau et Akoun
A l’école élémentaire Eagle Mountain (à Fort Worth, Texas), les enfants de maternelle et de CP bénéficient de 4 récréations de 15 minutes par jour. Le temps de récréation global est passé de 20 minutes à 1 heure par jour. Cette école des Etats-Unis s’inspire du modèle finlandais. Les enfants finlandais profitent de beaucoup plus de temps de jeux libres pendant les récréations que les enfants américains (et français).
Les enseignants de cette école texane témoignent d’une évolution positive chez les élèves : les enfants sont moins distraits, plus attentifs et discutent moins en classe. Ils remarquent même un effet étonnant sur les crayons : les enfants avaient pris l’habitude de les broyer, de les casser, de les mâchouiller mais, depuis que l’école a introduit 4 récréations par jour, les enfants ont perdu cette habitude.
Plusieurs options sont envisageables pour permettre le mouvement à l’école et à la maison et lutter contre les idées reçues sur l’apprentissage :
- bouger d’une pièce à l’autre (voire d’un étage à l’autre) (par exemple pour mémoriser l’orthographe des mots d’une dictée en lisant le mot dans une pièce puis en l’écrivant dans une autre);
- ne jamais priver un enfant/ ado de récréation ni de sport;
- laisser les élèves marcher pieds nus (ou en chaussettes) en classe (et même dans l’herbe);
- repenser l’aménagement des classes et l’enseignement pour permettre les déplacements libres (comme dans cette classe);
- autoriser les enfants à bouger autant qu’ils en ont besoin quand ils font leurs devoirs (par exemple, c’est OK de s’asseoir par terre, de s’allonger la tête en bas ou encore de tourner avec la chaise de bureau);
- réviser et apprendre debout;
- autoriser les gribouillages.
Par ailleurs, les gestes des élèves ne doivent pas être empêchés en classe car ils ont un rôle important dans le développement mental précoce.
Idée reçue n°2 :”Il faut du silence”. On ne pourrait apprendre que dans le calme et le silence selon les idées reçues sur l’apprentissage.
On éprouve des émotions positives à l’écoute de musiques appréciées. Or il est désormais acquis que l’on apprend mieux quand on éprouve des émotions positives. Mais la réalité est plus subtile et les effets positifs de la musique dépendent du type d’activités effectuées :
- écouter de la musique n’interfère pas avec les activités cognitives quand il s’agit d’activités simples, faciles (ex : recopier au propre, trier, colorier…),
- quand il s’agit de réfléchir, de comprendre, de mémoriser à long terme, le cerveau rationnel doit gérer deux tâches concurrentes liées au langage. Dans ce cas, les recherches sont formelles : les performances en termes de mémorisation baissent de 40%.
Le contexte et les préférences de l’enfant sont donc à prendre en compte pour bénéficier des effets positifs de la musique :
- S’accorder un temps pour mettre de la musique jusqu’à être en état de détente, de bien-être puis éteindre la musique pour travailler;
- Choisir d’écouter de la musique (ou non) selon le type de travail à faire (OK pour de la simple recopie, à éviter pour des activités complexes de compréhension, réflexion, mémorisation).
Dans certains cas particuliers, la musique peut servir d’isolant à des bruits perturbateurs (ambiance bruyante, travaux…) Les musiques à privilégier sont des musiques sans paroles.
Idée reçue n°3 :”Calme toi”. Les émotions empêcheraient d’apprendre.
La joie est le moteur de la curiosité et la curiosité est le moteur de l’apprentissage. L’intelligence grandit dans la joie contrairement aux idées reçues sur l’apprentissage.
La nature a doté les humains de l’émotion de joie associée à la découverte (et l’intensité de la joie est encore plus élevée chez les plus jeunes humains). Cette joie est le moteur de la curiosité. C’est la raison pour laquelle les tout-petits veulent tout toucher, posent tant de questions et agissent autant dans leur environnement (grimper, rouler, répéter, lancer…). L’exploration donne envie de découvrir davantage pour éprouver une joie encore plus grande. Ce mécanisme d’auto-récompense se poursuit durant toute la vie, à condition qu’on ne le brime pas (notamment au cours de la scolarité).
La dopamine est considérée comme la principale hormone de la joie (sans en être la seule responsable). La dopamine est un neuromédiateur du circuit de la récompense. Elle nous apporte une sensation de plaisir intense et, par là, permet la mémorisation des réseaux de neurones impliqués dans l’action amenant à ce plaisir. La dopamine nous motive à agir quand elle anticipe des perspectives intéressantes en lien avec ces expériences de plaisir passées et mémorisées. La dopamine nous récompense quand nous réussissons et nous encourage à persévérer quand nous échouons de peu.
On comprend alors en quoi la joie nous aide à apprendre et nous motive à dépasser nos limites à travers la sécrétion de dopamine.
En grandissant, les enfants découvrent qu’apprendre n’est pas seulement une source de joie, mais aussi de maîtrise. S’y connaître dans tel ou tel domaine donne la confiance nécessaire pour prendre des risques intellectuels, faire preuve de pouvoir personnel, mieux vivre et créer du sens. Malheureusement, il est possible de briser ce cercle vertueux.
Dès le cours préparatoire, les enfants associent l’école aux notes. Ils comprennent qu’ils peuvent acquérir des connaissances, non pas parce que c’est intéressant en soi (c’est le principe de la motivation intrinsèque), mais parce que cela peut leur “rapporter” quelque chose (de l’appréciation sociale, du pouvoir, de la reconnaissance…) ou parce qu’il ont peur s’ils ne le font pas (peur de la punition en cas de travail trop lent ou mal fait, peur de l’exclusion en cas d’étiquette de cancre…).
André Stern, qui n’est jamais allé à l’école, s’appuie sur les travaux du neurobiologiste Gerald Hüther pour affirmer que la véritable compétence est un effet secondaire de l’enthousiasme. Il plaide pour une école de l’enthousiasme.
Idée reçue n°4 : “No pain no gain”. Il faudrait souffrir et arrêter de jouer pour apprendre.
Apprendre n’est pas synonyme de souffrance (et ne doit jamais l’être). Nous sommes pour ainsi dire endoctrinés par une éducation où seul l’effort violent conduit au mérite et à la récompense et où il faut travailler pour réussir en ignorant les signaux du corps (la fatigue, l’ennui, le besoin de mouvement ou encore le stress). Pourtant, les apprentissages (de quelle que nature qu’ils soient, y compris physiques) sont plus efficaces quand ils sont effectués dans la douceur et l’écoute de soi. Cette douceur passe notamment par le jeu libre chez les enfants.
Peter Gray est un psychologue américain, qui s’est spécialisé dans l’étude du jeu chez les être humains. Il est l’auteur du livre Libre pour apprendre (Actes sud éditions). Dans ce livre, il démontre en quoi la manière dont sont construits nos écoles et nos systèmes éducatifs va à l’encontre des mécanismes d’apprentissage dont la nature et l’évolution nous ont dotés.
Pour contrer les idées reçues sur l’apprentissage, Peter Gray explique que les humains sont animés par trois mécanismes naturels qui les poussent à apprendre :
- La curiosité
- Le jeu
- La sociabilité
Or il remarque que la manière dont fonctionne la plupart des écoles de nos jours contrarie les mécanismes naturels de l’apprentissage humain. Les apprentissages, la résolution de problème et la créativité sont en effet menacés par les interventions qui interfèrent avec le jeu mais améliorés par les interventions qui promeuvent le jeu libre et auto dirigé.
Il existe quatre freins à la puissance du jeu comme moyen d’apprendre à l’école traditionnelle. Les connaître permet de dépasser l’idée reçue sur les apprentissages qui dit qu’apprendre et jouer sont antonymes.
1.La pression de ne pas faire d’erreur empêche les nouveaux apprentissages
Quand une tâche inclut une pensée créative ou l’apprentissage d’une compétence difficile, la présence d’un observateur ou d’un évaluateur inhibe presque tous les participants. Plus le statut de l’évaluateur est élevé (tiens, on pense aux inspecteurs qui viennent évaluer les enseignants qui se mettent souvent dans tous leurs états mais qui n’arrivent pas à concevoir que les élèves en classe subissent la même chose à chaque test/ devoir surveillé…), plus l’effet d’inhibition est élevé.
Des études ont montré que les évaluations facilitent les performances de ceux qui sont déjà doués (compétences acquises) mais inhibent celles de ceux qui sont en train d’apprendre (compétences pas encore acquises). Or les écoles sont supposées être des endroits pour apprendre et s’entraîner plutôt que des endroits pour “frimer” avec des bonnes notes quand on a déjà compris en se comparant avec ceux qui n’ont pas encore compris.
Tout se passe comme si les écoles étaient construites de manière à améliorer les performances de ceux qui performent déjà et à entraver les apprentissages de ceux qui ont besoin de plus de temps ou qui s’intéressent à autre chose que les matières dite fondamentales dont les évaluations comptent le plus.
Les évaluations ont cet effet pernicieux parce qu’elles produisent un état d’esprit à l’opposé du jeu libre. Or le jeu libre est le meilleur moyen d’acquérir de nouvelles compétences, de résoudre des nouveaux problèmes et de s’engager dans toutes sortes d’activités créatives.
2.La pression d’être créatif éteint la créativité
Teresa Amabile a conduit une étude au cours de laquelle elle a invité des adultes et des enfants à réaliser une activité créative dans un laps de temps donné (une peinture, un collage, un poème…). Pour faire des échantillons, elle a dit à certaines personnes que leurs productions seraient évaluées et classées par niveau de créativité, que leurs productions seraient présentées à un concours ou encore que les meilleures productions recevraient une récompense. Bien que la créativité soit un élément difficile à évaluer, les chercheurs se sont basés sur des critères de satisfaction personnelle du créateur en herbe, de sens et de cohérence pour déterminer le niveau de créativité de chaque production.
Expérience après expérience, il en est ressorti que les productions les plus créatives avaient été réalisées par le groupe qui n’avait reçu aucune indication (pas de note, pas de concours, pas de récompense). Les personnes de ce groupe ont donc créé pour leur propre plaisir, par amusement et par envie. C’est ce que Peter Gray appelle “jeu”.
La créativité nécessite des conditions mentales adaptées pour s’épanouir… et le système de récompense/ évaluation détériore ces conditions mentales.
3.Introduire du temps de jeu libre améliore la créativité et la capacité à résoudre des problèmes des enfants
Paul Howard-Jones, un autre chercheur en psychologie, a réalisé une étude à la suite de celle de Teresa Amabile. Il a proposé à des enfants de réaliser des collages. Une partie du groupe a été invitée à jouer à la pâte à sel auparavant et l’autre partie du groupe à copier des lignes. Il se trouve que, selon les mêmes critères que pour l’expérience de Teresa Amabile, les productions des enfants ayant joué avant le collage ont été plus créatives.
Peter Gray rapporte également une autre expérience basée sur le célèbre problème de la bougie de Duncker. Le test consiste à faire entrer des personnes dans une pièce dans laquelle se trouve une table sur laquelle sont posées une bougie, une petite boîte d’allumettes et une boîte de punaises. Il leur est demandé de fixer la bougie au mur sur un tableau de liège sans que la cire ne tombe sur la table située en dessous. La solution consiste à vider la boîte de punaises, à mettre la bougie dans cette dernière et à fixer la boîte au tableau avec des punaises. Cela nécessite donc de vider la boîte de punaises et de ne pas s’occuper des allumettes.
Alice Isen, chercheuse en psychologie, a proposé, avant de passer au problème de la bougie, de faire regarder un film comique à certains participants, un film sur les mathématiques à d’autres et rien du tout au reste. 75% des étudiants ayant regardé le film comique ont résolu le problème, 20% des étudiants ayant regardé le film sur les mathématiques et 13% des étudiants n’ayant rien regardé.
Un état d’esprit positif améliore la créativité et le raisonnement perspicace. Peter Gray en conclut que le jeu, générateur par excellent d’émotions positives, a un effet levier sur la créativité et la résolution de problème.
4.Le jeu est un moyen pour les jeunes enfants de résoudre des problèmes logiques
Dans des expériences conduites par MG Dias et PL Harris, il est apparu que de jeunes enfants pouvaient résoudre des problème logiques dans le contexte du jeu mais pas dans un contexte formel et/ou scolaire.
Cela tient principalement au fait que, dans le jeu, les enfants sont capables d’imaginer ce qui n’existe pas, de se dégager des contraintes de pensée du type “il faut faire comme ça”, “on doit faire commet ça”, “on a toujours fait comme ça”.
Les humains ont le choix de ne pas souffrir et de ne pas s’engager dans des voies qui ne leur conviennent pas
Certains postes de travail et certains métiers nécessitent évidemment une qualification et un diplôme. Toute la différence réside dans l’envie (portée par l’enthousiasme) : nous pouvons choisir de nous engager dans une voie (ou de ne pas nous y engager). Quand une voie est choisie de manière libre et consciente, alors n’importe quel humain va se donner les moyens d’y arriver sans se faire mal (en écoutant son corps et ses émotions) ni faire mal aux autres (compétition débridée).
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Pour aller plus loin : A l’école comme un poisson dans l’eau : favoriser l’épanouissement de votre enfant à l’école de Valérie Roumanoff (First éditions). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.
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