“Les dernières choses à supprimer des programmes scolaires sont la chorale, l’éducation physique, la récréation”

Lien entre traumatisme et  comportements perturbateurs des enfants

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Bassel Van der Kolk est un psychiatre spécialiste mondial du traumatisme et du Syndrome de Stress Post Traumatique (SSPT). Dans son livre Le Corps n’oublie rien, il avertit de la sous estimation dans tous les pays du monde de la maltraitance infantile et de ses répercussion en termes de traumatisme.

Il écrit que, pour un grand nombre de gens dans le monde, la guerre commence à la maison. Tous les ans, 3 millions d’enfants américains sont victimes de sévices sexuels et d’abandon. Il ajoute que, aux Etats-Unis, pour chaque soldat qui se bat dans une zone de guerre à l’étranger, dix enfants sont en danger dans leur propre foyer. En France, on estime à 1 enfant mort tous les 5 jours sous les coups de leurs parents et à 73 000 les cas de maltraitance identifiés en 2016.

Les conséquences de ces maltraitances infantiles sont immenses parce qu’il est très difficile pour les enfants de se remettre de la terreur et de la souffrance causées  par leurs propres parents (ou personnes proches supposées prendre soin d’eux).

Les enfants qui ont un attachement désorganisé n’ont personne vers qui se tourner et se trouvent face à un dilemme insoluble ; leur mère (et/ou père) est en même temps effrayante et nécessaire à leur survie.

Les enfants qui ne se sentent pas en sécurité dans leur foyer au cours de leurs premières années ont du mal à réguler, en grandissant, leurs humeurs et leurs réactions émotionnelles. À la maternelle, beaucoup d’enfants à l’attachement désorganisé à leur mère (ou autre selon qui est la figure primaire d’attachement) sont soit détachés (rien ne les touche d’un point de vue émotionnel), soit agressifs, et ils développent divers problèmes psychiatriques tout au long de leur vie.

Pleine conscience, mouvement, rythmes et action à l’école

Il faut enclencher le système de sécurité du cerveau des enfants avant de chercher à enseigner

Bassel Van der Kolk rappelle que les émotions sont inscrites dans le corps. 80 % des fibres du nerf vague (qui relie le cerveau à une série d’organes internes comme le cœur et les poumons) courent du corps vers le cerveau. Ainsi, les humains, à tout âge, peuvent réguler leur système d’excitation dans le cerveau par leur manière de respirer, de scander et de bouger, en lien avec d’autres humains (ou animaux).

Van der Kolk regrette que notre système éducatif ait tendance à contourner le système d’engagement social et l’intégration sensorielle pour mobiliser principalement les facultés cognitives de l’esprit.

Selon Bassel Van der Kolk, les dernières choses à supprimer des programmes scolaires sont la chorale, l’éducation physique, la récréation, c’est-à-dire toutes les activités qui permettent le mouvement, le jeu, l’engagement joyeux. En effet, Van der Kolk estime que le meilleur moyen de changer ce que l’on éprouve quand on est traumatisé est de prendre conscience de son expérience intérieure et de « pactiser » graduellement avec elle.

Lorsque des enfants sont hostiles, sur la défensive, fermés ou furieux, il importe de reconnaître que cette « mauvaise conduite » peut reproduire des modes de comportement qu’ils ont établis pour survivre à de graves menaces, même si cette attitude dérange ou rebute.

Les effets de la peur et de la colère sur la capacité de raisonnement ont beau être connus, de nombreux enseignants ignorent qu’il faut enclencher le système de sécurité du cerveau avant de chercher à promouvoir de nouvelles façons de penser (et donc à enseigner).

Une chose est sûre : hurler à la figure d’une personne qui a déjà perdu sa maîtrise de soi ne fait qu’aggraver son état. Comme un chien se recroqueville quand on crie et remue la queue au son d’une voix chantante, les humains réagissent aux hurlements par la peur, la colère ou la fermeture, et aux voix gaies en se détendant. On ne peut tout simplement pas s’empêcher de répondre à ces indicateurs de sécurité ou de danger. – Van der Kolk

Pleine conscience, mouvement, rythmes et action pour enclencher le système de sécurité du cerveau des enfants

Van der Kolk rapporte dans son livre plusieurs expériences d’approches thérapeutiques pour guérir les enfants traumatisés (ou du moins leur permettre d’être à nouveau en contact avec leurs propres sensations et émotions et d’interagir à nouveau avec les autres de manière appropriée). Voici quelques exemples pour enclencher le système de sécurité du cerveau des enfants :

  • À partir de gestes simples, fondés sur un accord rythmique de passes avec un ballon, il est possible de créer un petit lieu sûr où le système d’engagement social peut commencer à se reconstruire.
  • Tambouriner en rythme est également bénéfique, ainsi que chanter dans une chorale.
  • Des établissements de soin, comme la clinique d’intégration sensorielle de Watertown (Massachusetts), est un grand terrain de jeux, équipé de balançoires, de piscines à balles multicolores (si profondes qu’on peut y disparaître), de tunnels en plastique invitant à ramper et d’échelles menant à des plates-formes d’où les enfants peuvent se jeter sur des matelas en mousse.
  • Apprendre à respirer calmement et à prendre des inspirations profondes a des effets sur l’ensemble du corps

De plus en plus d’enseignants, notamment en maternelle, ont recours à des techniques car ils doivent composer tous les jours avec des cerveaux immatures et des conduites impulsives. Comme la régulation émotionnelle est cruciale pour gérer les effets de l’abandon et du traumatisme, la société entière gagnerait beaucoup à ce que les enseignants (mais aussi les pédopsychiatres, tout personnel éducatif ou soignant et les familles d’accueil) soient rompus aux techniques de respiration et de pleine conscience.

Van der Kolk  milite pour que les bénéfices de respiration en pleine conscience chez les enfants soient mieux connues et que la pratique en soit répandue, notamment à l’école.

En tant qu’enseignant (et personnel éducatif), être une figure d’attachement et un témoin éclairé

Van der Kolk rappelle que les enfants (et en particulier les traumatisés) ont besoin de sentir qu’une personne plus grande et plus forte les prend en charge, les réconfortent, voire les enlacent et les bercent.

 Les liens d’attachement sont la plus grande protection contre la menace. – Bassel Van der Kolk

Lire aussi : La théorie de l’attachement, source d’inspiration pour améliorer les relations enseignant.e-élève

En ce sens, les travaux de Van der Kolk rejoignent ceux d’Alice Miller, spécialiste des conséquences de la maltraitance infantile et des violences éducatives dites ordinaires (fessée, claque, humiliation…).

L’espoir d’Alice Miller pour éradiquer la violence dans la société repose sur sa conception du témoin éclairé ou témoin secourable.  Ce témoin secourable est une personne éclairée au sujet des violences éducatives ordinaires et lucide sur ses méfaits individuels et collectifs. En connaissance de cause,cette personne va intervenir auprès de l’enfant pour lui dire que ce qu’il subit est de la maltraitance, de la violence et que ce n’est pas normal.

Il faut que les personnes aient rencontré dans leur enfance au moins un être qui n’a pas été cruel à leur égard et qui leur a offert la possibilité de percevoir la maltraitance de leurs parents ou de leur entourage proche (y compris la violence psychologique comme le rejet, la culpabilisation, la répression des émotions, le chantage, les menaces…).

Alice Miller a essayé toute sa vie à atteindre par ses livres quelques hommes et femmes qui ont eu la chance d’avoir dans leur enfance un témoin secourable, ne fût-ce que pendant une brève période. Ces personnes deviendront à leur tour des témoins éclairés, conscients, et ils se feront les avocats de l’enfant. En tant qu’enseignants, personnel éducatif ou soignant, nous pouvons choisir d’être parmi ceux-là.

Dans une société où les magazines et sites internet grand public, une partie des psychologues et des enseignants s’accordent à penser que les punitions, la discipline répressive et l’isolement sont des bons moyens d’éduquer les enfants, on peut avoir le sentiment d’être fou en affirmant le contraire.

Pourtant, le mode de relation enseignant- élève exerce une influence importante sur les enfants. Quand cette relation est de qualité, elle a des effets positifs sur la réussite des élèves ainsi que sur leur santé mentale (stress, résilience, bien-être émotionnel, confiance en soi).

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Source : Le Corps n’oublie rien : Le cerveau, l’esprit et le corps dans la guérison du traumatisme de Bassel Van der Kolk (éditions Albin Michel). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.

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