Rendons-nous service aux jeunes en cherchant à les adapter à une société violente et dépressive ?
Rendons-nous service aux jeunes en cherchant à les adapter à une société violente et dépressive ?
Daniel Favre est professeur des universités en sciences de l’éducation. Dans son livre Transformer la violence des élèves, il présente en quoi les valeurs véhiculées par l’organisation du système éducatif influence sur le choix inconscient des humains passés par ce système.
3 systèmes de motivation
Selon Daniel Favre, il existe 3 systèmes de motivation à connaître et prendre en compte pour comprendre la violence des élèves :
- Le système de motivation SM1 : sécurisation
- Le système de motivation SM2 : innovation
- Le système de motivation SM3 : addiction ou sécurisation parasitée
Le système de motivation SM1 : sécurisation
Dans la motivation de sécurisation (SM1), le sentiment de bien-être ou de frustration est associé à la satisfaction ou non de besoins biologiques et psychologiques essentiels dans une relation de dépendance à autrui. Cette satisfaction est fondamentale au début de la vie pour que se construise la confiance en soi chez l’enfant. Les valeurs de la motivation de sécurisation sont :
- la sécurité (de l’enfant/ adolescent qui reçoit),
- la stabilité (des relations, des représentations, des réactions des gens, des croyances…).
C’est en cela que la pensée dogmatique est nécessaire. La pensée dogmatique est le contraire de la pensée ouverte et critique. Elle est faite de vérité absolue, de prise en compte uniquement des faits et d’informations qui confirment l’a priori personnel et de généralisations abusives. Grâce à elle, les humains peuvent partager des représentations suffisamment stables et se retrouver en terrain connu quand ils communiquent entre eux.
Mais l’excès de son usage est à redouter car il provoque l’arrêt des apprentissages et de l’avancée des sciences, tout en faisant le terreau de la violence par l’intolérance et le refus de la pensée critique.
Le système de motivation SM2 : innovation
Dans la motivation d’innovation (SM2), le plaisir a pour origine les conduites par lesquelles un être humain gagne de l’autonomie (physique, intellectuelle ou affective), surmonte des difficultés, fait preuve de créativité et d’innovation.
Ce plaisir est indissociable d’une position de responsabilité. Les satisfactions qu’il procure à travers différentes conduites (apprendre, créer, échanger des points de vue différents, résoudre un problème…) ne sont souvent pas immédiates et nécessitent des efforts et un investissement.
. Les valeurs de la motivation d’innovation sont donc :
- l’exploration,
- l’individuation,
- la responsabilité.
Pour accéder aux satisfactions associées à ces valeurs, la pensée ouverte est indispensable car elle peut ainsi rester en mouvement, son contenu peut évoluer et s’enrichir dans la relation à autrui.
Le système de motivation SM3 : addiction ou sécurisation parasitée
Dans le cas de la motivation d’addiction ou sécurisation parasitée (SM3), les satisfactions sont associées à la reproduction (le plus souvent inconsciente) de situations de dépendance vis-à-vis de produits ou comportements.
Pour Daniel Favre, le système de motivation d’addiction ou sécurisation parasitée s’apparente à une forme de toxicomanie : la répétition compulsive engendrant de moins en moins de plaisir rend nécessaire la recherche du “toujours plus” (toujours plus de domination sur autrui pour éprouver une sentiment de pouvoir personnel, toujours plus d’écrasement des plus faibles pour éprouver un sentiment de valeur personnelle, toujours plus d’actes violents pour éprouver un sentiment d’appartenance et de reconnaissance dans un groupe qui valorise la violence, toujours moins de coopération pour éprouver un sentiment de liberté personnelle).
Les valeurs la motivation de sécurisation parasitée sont :
- l’avidité,
- le pouvoir sur autrui,
- l’irresponsabilité,
- l’individualisme.
La pensée dogmatique constitue alors un moyen pour conserver la stabilité de la pensée et des comportements qui découlent de ces pensées fixes. Daniel Favre écrit que cette motivation de sécurisation parasitée qui privilégie la recherche du “toujours plus” au détriment du “encore mieux” s’oppose à la maturation psychologique et perpétue l’infantilisme en interdisant les “renoncements nécessaires” pour franchir les crises maturantes de l’existence.
Un lien entre le niveau de compétition à l’école et le niveau de violence dans une société ?
Favre alerte sur la trop grande place que prennent les notes et les classements (entre élèves et entre établissements) parce que ces pratiques scolaires font adopter à la société la compétition et la rentabilité comme des valeurs normales et justes.
Ces valeurs incitent à placer dans le registre du “bien” la lutte entre individus permettant un profit évalué de manière uniquement comptable favorisant la richesse d’une minorité au détriment de tous (humains et non humains).
La sélection et l’élimination des moins aptes via les notes et les classements, le modèle domination-soumissions dans les rapports enseignants-élèves préparent une logique d’exclusion sociale et de destruction des écosystèmes planétaires. La loi du marché est à la fois la mère et la fille de la motivation de sécurisation parasitée : elle renforce et s’appuie sur l’addiction des humains ainsi formés au besoin d’affaiblir autrui pour se sentir puissant.
Du fait de cette “préparation des esprits”, peu de personnes parlent des alternatives pédagogiques qui montrent que la logique de l’exclusion n’est pas la seule possible (pédagogie coopérative, classes Freinet, cercles restauratifs pour la résolution des conflits, écoles démocratiques, enseignement de compétences émotionnelles et relationnelles…).
La question concernant l’adaptation de l’école à la valeur dominante de l’économie, se pose en particulier à propos de l’évaluation scolaire. Un mode d’évaluation considérant l’erreur comme une faute plutôt que comme une information permettant de progresser a très probablement des effets néfastes sur la motivation de l’élève à prendre des risques incontournables dans tout apprentissage. Dans ce contexte, les élèves sont tentés de ne travailler que pour les notes et dans une logique d’immédiateté. Cette motivation les pré adapte ainsi à la valeur dominante de la société : tel effort d’apprentissage ne paraît attrayant que si “c’est noté”, c’est-à-dire si “c’est rentable”, si cela rapporte à court terme quelques points de plus et si peu d’élèves réussissent. – Daniel Favre
Favre fait l’hypothèse que, stimulés d’un côté par la motivation d’innovation mais résistants de l’autre à lâcher la motivation de sécurisation parasitée, les individus fabriquent progressivement les symptômes d’une société dépressive. Il nous invite donc, en tant que parents et enseignants, à questionner nos valeurs et le sens que nous donnons à nos actions :
- suis-je un adulte qui donne envie à un enfant et un adolescent de mûrir ?
- rendons-nous service aux jeunes en cherchant à les adapter à une société violente et dépressive faute de sens et donc vulnérable à la tentation de chercher des solutions dans le passé ?
Ce ne sont pas les informations qui nous font défaut, ce qui nous manque, c’est le courage de comprendre ce que nous savons et d’en tirer les conséquences. – Sven Lindquist
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Source : Transformer la violence des élèves – Cerveau, motivations et apprentissage de Daniel Favre (éditions Dunod). Dispionible en médiathèque, en librairie ou sur internet,.
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