Le jeu de peindre (Arno Stern) : tracer, un acte universel, naturel et vital
Le jeu de peindre (Arno Stern) : tracer, un acte universel, naturel et vital
Arno Stern n’est ni pédagogue ni artiste peintre. C’est par hasard qu’il comprend l’importance de la formulation chez les enfants et les conditions nécessaires à l’émergence de cette formulation au service de l’être humain.
C’est en travaillant avec des enfants orphelins après la deuxième guerre mondiale qu’il découvre à la fois l’enthousiasme des enfants à “jouer” à peindre sans objectif artistique ou psychologique mais également les similitudes de figures et de formes chez tous les enfants d’où qu’ils viennent et quelle que soit leur histoire.
Arno Stern en a déduit une approche nommée le Jeu de peindre où l’objectif est de peindre pour soi dans la spontanéité.
Il a choisi le mot de “jeu” parce que l’acte seul a de l’importance et qu’il est caractérisé par un intense plaisir.
Trace, formulation et mémoire organique
Dans le Jeu de peindre, la formulation est l’émanation de la mémoire organique. Pour Arno Stern, la formulation est un code universel composé d’éléments qui sont comme le vocabulaire d’une langue qui serait commune à tous les humain. Il les décrit dans cette vidéo (45 min) :
Selon Arno Stern, les composantes de la formulation s’imposent à tous les êtres humains, nées d’une nécessité qui leur est commune. Pour que leur manifestation puisse se produire, des conditions particulières sont nécessaires. La formulation est à la fois naturelle et inéprouvée. Dans l’art, la trace est porteuse d’un message tandis que la formulation, la trace ne s’adresse à aucun récepteur.
C’est seulement quand la trace est exempte du rôle de la communication qu’elle peut se charger de ce que contient la mémoire organique. Elle est le seul moyen d’expression des enregistrements conservés dans la mémoire organique.
Devant sa feuille lors du Jeu de peindre, chacun exprime ce qui a été enregistré dans sa mémoire organique. Les événements de notre vie in utero et de notre petite enfance ne sont pas effacés de la mémoire : il en reste des traces en nous. Le Jeu de peindre, à travers la spontanéité, la non directivité via l’absence de consignes et le non jugement, permet justement de se laisser aller à des actes non induits par la raison.
Les conditions nécessaires à l’émergence de la trace
Pour que la formulation puisse se produire, il faut que la personne puisse se libérer de tout ce qui vient à elle. Alors elle accède à la mémoire de son propre commencement. Ce commencement lui était inconnu car sa souvenance n’a pas une portée suffisante pour l’atteindre.
C’est pour cette raison qu’Arno Stern a créé le Clos Lieu.
- Cet espace n’a aucun regard vers l’extérieur (les ouvertures et fenêtres sont recouvertes).
- Les murs sont recouverts de traces de peinture.
- Des feuilles de papier blanches sont fixées directement aux parois à la verticale.
- La table palette est présente au centre de la pièce (une grande table étroite et allongée dans laquelle sont insérées des godets contenant de la peinture et des gobelets d’eau à côté desquels sont disposés des pinceaux de deux tailles différentes).
- La pièce est aménagée de manière à ce que chaque personne puisse en quelques pas faire l’aller retour entre sa feuille et la table palette.
- Un servant du Jeu de peindre prépare le matériel, fixe les feuilles de papier, recharge les godets de peinture et encourage à approfondir (“tu viens juste de commencer, continue, ton pinceau saura”).
- L’absence de jugement (personne ne juge la production d’une autre personne ou ne craint d’être jugée).
Dans la quiétude et la permanence de ce lieu, la personne s’adonne à l’indicible et acquière une plénitude insoupçonnée.
Toute personne qui vit sa trace en éprouve un énorme bonheur puisqu’elle retrouve quelque chose qui lui a échappé, qui semblait perdu.
Nous sommes comme un livre dont les premières pages ont été arrachées et, quand on le lit, on commence quelque part mais pas à son commencement. Si on retrouve ces pages, on commence alors par le commencement. C’est ce qui arrive à la personne humaine par la formulation. – Arno Stern
Cet accomplissement à travers la formulation est très important mais est menacé par les influences auxquelles on soumet l’enfant et qui le détournent de sa spontanéité.C’est la raison pour laquelle Arno Stern insiste sur le fait que le Jeu de peindre est à la portée de chacun (il n’existe pas de personne douée ou incapable) et qu’aucun tableau ne doit être exposé ou commenté.
Les enfants sont écrasés par l’apprentissage, et notamment par l’éducation artistique qui écrase leur spontanéité. – Arno Stern
Le jeu de peindre se caractérise par sa pureté et son abondance. L’enfant (qu’il ait 5 ou 50 ans) ne se retient pas; il joue avec tout son être et ses capacités. A travers le jeu de peindre, les enfants peuvent se libérer des influences qui les brident. Le Clos Lien n’est pas un lieu de thérapie, de guérison, mais participe à libérer les joueurs d’un poids qui les écrase pour plus de sérénité.
Le Jeu de peindre en famille ou à l’école
Dans leur livre Le grand guide des pédagogies alternatives, Anne Cécile Pigache et Madeleine Deny proposent des activités inspirées par le Jeu de peindre reproductibles à l’école ou à la maison.
Elles nous mettent sur la voie de ce qu’il faut éviter de faire pour une séance de peinture libératrice :
- ne pas demander à l’enfant de raconter ce qu’il a voulu représenter
- ne pas exposer, commenter, s’étonner, s’émerveiller, juger
- ne pas donner d’idées, de suggestions, de conseils (à part technique comme la tenue du pinceau ou l’utilisation de la tablette centrale)
- ne pas imposer de règles qui écrasent la spontanéité (couleurs, perspective…)
- ne pas imposer de techniques (déchirer, faire dégouliner…)
- ne pas proposer de thèmes
- ne pas essayer d’améliorer la trace de l’enfant
- ne pas peindre sur la même feuille à plusieurs
L’objectif est que l’enfant puisse peindre en toute spontanéité, libéré des soucis pratiques et en acquérant une technique simple. On peint juste pour soi, sans peur d’être jugé.
……………………………………………………………………………………………
Pour aller plus loin : Le jeu de peindre de Arno Stern (éditions Actes Sud)
Le grand guide des pédagogies alternatives de Anne Cécile Pigache et Madeleine Deny (éditions Eyrolles)