Une corrélation entre le déclin du temps de jeu libre des enfants et l’augmentation des cas de dépressions enfantines ?

Pourquoi le jeu est-il apparu dans le processus d’évolution ? Quelles sont ses fonctions ?

Le Dr. Peter Gray, spécialiste de l’étude du jeu, explique que tous les petits de mammifères jouent dans la nature : à travers le jeu, ils développent des capacités physiques et mentales cruciales pour leur survie.

Ils apprennent ainsi à coopérer. Il ne faut pas oublier que les mammifères sont des animaux sociaux.

Dans les jeux à risques, ils apprennent à prendre des risques et à se sauver la vie, ils expérimentent la peur.

Des scientifiques ont mené des expériences pour priver des jeunes mammifères de la possibilité de jouer. Quand ceux-ci se développent, ils sont émotionnellement et socialement handicapés. Ils ont tendance à sur-réagir par la peur dans un environnement nouveau, à moins tenter de l’explorer, à moins bien s’adapter. Ils n’ont par ailleurs pas appris à répondre aux signaux sociaux de leurs pairs.

Dès lors, il n’est pas surprenant que le mammifère qui possède le cerveau le plus développé et qui a le plus à apprendre de sa naissance à l’âge adulte soit celui qui joue le plus ! Le Dr. Peter Gray fait bien sûr référence aux humains : les petits d’homme sont les mammifères qui jouent le plus naturellement !

Dans les cultures de chasseurs-cueilleurs, les enfants sont libres de jouer et d’explorer par eux-mêmes sans la supervision d’un adulte tous les jours de l’aube au crépuscule. Les parents de ces tribus estiment qu’ils doivent les laisser jouer car c’est ainsi qu’ils apprennent les compétences dont ils auront besoin adultes. Les anthropologistes qui ont observé les enfants dans ces cultures les considèrent généralement comme les enfants les plus intelligents, les plus heureux, les plus enclins à coopérer et les plus résilients.

D’un point de vue biologique, le jeu est le moyen par lequel la nature s’assure que les jeunes mammifères, dont les petits d’homme, acquièrent les compétences dont ils ont besoin pour devenir des adultes.

 

Le déclin du jeu libre auto-dirigé dans nos sociétés occidentales

Dans les 50 dernières années, les opportunités de jeux libres offertes aux enfants ont décliné régulièrement.

Le Dr. Peter Gray parle de l’exemple des Etats-Unis d’Amérique : dans les années 50, l’école n’avait pas l’importance qu’elle revêt aujourd’hui en termes d’enjeux de réussite et d’amplitude horaire. Il n’existait presque pas de devoirs en école élémentaire. Les enfants pouvaient consacrer plusieurs heures à jouer librement après l’école. Il leur était possible de jouer dehors, dans la rue sans adulte.

Dans les années 2000, les enfants n’ont pratiquement plus que des activités encadrées en dehors de l’école. Les adultes donnent les directives et les récompenses. Mais ceci n’est pas jouer au sens biologique du terme : à l’état naturel, jouer est nécessairement auto contrôlé et auto dirigé (l’enfant décide par et pour lui-même).

C’est justement la nature auto-dirigée du jeu qui lui confère son aspect éducationnel primitif.

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Pourquoi le temps de jeu libre auto dirigé a-t-il chuté ?

1. Le temps consacré à l’école a augmenté

En reprenant l’exemple des USA, le Dr. Peter Gray explique que le temps de présence à l’école aussi bien que celui consacré aux devoirs a fait augmenter le temps dédié par l’enfant aux activités scolaires.

2. Une vision scolaire du développement de l’enfant

Dans nos sociétés dites modernes, la pensée dominante, et souvent inconsciente, tient pour acquis que les enfants apprennent seulement quand une connaissance est apportée par un adulte. Les activités non supervisées par les adultes, qui se passent entre enfants seulement, sont souvent considérées comme une perte de temps.

3. La propagation des peurs irrationnelles des parents

Les médias tendent à présenter le monde comme dangereux et les parents en sont venus à estimer devoir avoir leurs enfants sous les yeux en permanence pour les protéger du danger. Cette idée converge avec celle de Gever Tulley, détaillée dans cet article, qui explique que les parents sont tellement exposés aux médias qu’ils développent des peurs irrationnelles. Le top 5 des plus grandes angoisses des parents américains est :

  1. les kidnappings,
  2. les tueries à l’école,
  3. le terrorisme,
  4. les inconnus dangereux,
  5. les drogues.

Or Gever Tulley rappelle les 5 plus grandes causes de décès infantiles aux Etats-Unis :

  1. les accidents de voiture,
  2. les infanticides familiaux,
  3. les mauvais traitements,
  4. les suicides,
  5. les noyades.

4. La mise en place d’un cercle vicieux

Moins il y a d’enfants dans les parcs et les terrains de jeux, moins ils paraissent attractifs (avec qui jouer ? quid de l’entretien ?) et plus ils peuvent présenter de danger (appropriation des lieux par des adultes plus ou moins fréquentables).

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Quelles sont les conséquences du déclin du jeu libre sur le développement des enfants ?

Au cours des décennies durant lesquelles le jeu libre a décliné, la fréquence de nombreux troubles mentaux a quant à elle augmenté au sein de la population enfantine.

Signes dépressifs et suicides

Le Dr. Peter Gray cite les chiffres suivants à propos des USA :

  • 8 à 10 fois plus d’enfant souffrent aujourd’hui de dépression que dans les années 1950
  • le taux de suicide des jeunes entre 15 et 24 ans a doublé
  • le taux de suicide des jeunes de moins de 15 ans a quadruplé

La perte du sens de contrôle de sa vie

L’impression que les jeunes éprouvent en rapport avec le contrôle de leur vie a diminué : plus les années avancent, plus les enfants et adolescents pensent que leur vie est contrôlée par le destin, par les circonstances ou encore par les décisions des autres.

Or le fait de ne pas se sentir maître de sa vie est propice à l’émergence de l’anxiété et de la dépression.

Détérioration de la créativité

Les chercheurs ont également remarqué un déclin progressif de la pensée créative des jeunes enfants depuis les années 50s.

 

En quoi le déclin du jeu libre est-il corrélé avec ces troubles ?

Le Dr. Peter Gray s’appuie sur des études pour affirmer que les enfants d’aujourd’hui sont plus déprimés que pendant la Guerre Froide alors qu’ils étaient à l’époque sous la menace constante d’une guerre nucléaire.

Les effets observés sur les enfants américains d’aujourd’hui sont les mêmes que ceux observés sur les mammifères privés de jeux libres dans les expériences mentionnées plus tôt.

C’est à travers le jeu que les enfants apprennent qu’ils sont capables de contrôler leur vie, qu’ils expérimentent ce contrôle.

Si on enlève le jeu libre aux enfants, on les prive de la possibilité de :

  • comprendre que le monde n’est pas si effrayant que ça,
  • éprouver de la joie et de la fierté,
  • faire “comme si” et de s’échapper de la réalité par l’imaginaire
  • se frotter aux autres
  • confronter des points de vue
  • pratiquer l’empathie
  • surmonter leur narcissisme
  • créer et innover.

 

Comment remettre le jeu libre au cœur du développement de l’enfant ?

Nous pouvons déjà commencer par reconnaître le problème : les enfants n’ont pas besoin de plus de scolaire mais de plus de jeu libre. Nous pouvons trouver une solution en nous posant les bonnes questions : Que voulons-nous pour nos enfants ? Comment pouvons-nous l’atteindre ?

Le Dr. Peter Gray donne quelques pistes qui ne demandent qu’à être complétées par chacun et chacune d’entre nous 🙂 :

  • Développer les réseaux et communautés de voisinage

C’est dans le voisinage proche que les enfants trouveront leurs premiers camarades de jeu et que parents et enfants se sentiront en sécurité.

  • Remettre des espaces de jeu au cœur des villes et villages

Cela pourrait aussi passer par l’ouverture des gymnases et des infrastructures scolaires en dehors des heures d’école.

  • Nommer des superviseurs dans les parcs et terrains de jeu

L’idée est de nommer des professionnels de l’enfance qui savent garantir la sécurité sans intervenir ni interférer dans les jeux libres.

  • Fermer certaines routes/rues à la circulation pendant certaines heures de la journée pour que les enfants puissent jouer

  • Aller contre la vision scolaire du développement de l’enfant

Les enfants n’ont pas besoin de plus de travail scolaire : ils ont probablement besoin d’une école autrement mais sûrement pas de plus de devoirs ou de temps de présence à l’école.

Peter Gray propose 6 conditions pour des apprentissages plus efficaces à l’école. Pour lui, les seuls apprentissages vraiment efficaces et durables sont ceux réalisés dans le cadre d’une éducation auto dirigée.

conditions favorables apprentissages

Ainsi, certaines écoles aux Etats-Unis ont réintroduit plus de récréations dans la journée des écoliers. L’école de Fort Worth (Texas) propose 4 temps de récréation de 15 minutes aux enfants de niveau équivalent à la maternelle et au CP. En Finlande, ces temps de pause sont encore plus nombreux : 15 minutes de récréation par heure de classe pour les jeunes enfants.

Les écoles de type Sudbury s’appuient quant à elles sur des apprentissages autonomes et informels.

sudbury une école libre et démocratique sans programme, sans prof et sans note

Ce n’est pas une utopie : ces types d’organisation existent déjà !

En voici 2 exemples en France :

L’école dynamique à Paris (inspirée par l’école démocratique Sudbury aux Etats Unis)

L’école du 3° type de Bernard Collot (des écoles publiques « sans cahiers, sans leçons, sans programmes, sans évaluations, sans horaires, sans emploi du temps, ouvertes aux enfants et aux adultes même pendant les vacances »). Instituteur, Bernard Collot a transformé sa classe unique en une “école du 3e type”, à la faveur de 40 années de pratiques et d’innombrables échanges avec ses collègues. Sans présupposé idéologique, simplement en laissant se développer la pédagogie Freinet dans un contexte multi-âge, il est parvenu à concilier efficacité des apprentissages et bien-être des enfants.

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Source (conférence Ted en anglais) :  The decline of play | Peter Gray | TEDxNavesink

Le livre de Peter Gray sur le sujet : Libre pour apprendre : libérons nos enfants pour qu’ils retrouvent le bonheur d’apprendre et la confiance en eux (éditions Acte Sud)