Un biais cognitif est avantageux ou désavantageux en fonction du contexte : l’esprit critique, c’est davantage les comprendre que les supprimer.
Les biais cognitifs sont inévitables : ils peuvent être sources d’erreur… mais ils ont aussi une utilité.
Un biais cognitif est une pensée automatique qu’on croit logique mais qui ne l’est pas en réalité. Les biais cognitifs nous font analyser la réalité à travers des raisonnements pas toujours logiques ni logiques et ils nous font penser ou agir à notre insu.
Qu’est-ce qu’un biais cognitif ?
A l’origine, les biais cognitifs sont là pour nous aider car il nous aident à réagir vite face à une situation qui l’exige, à ne pas encombrer la mémoire d’informations inutiles ou à donner du sens à une situation.
La fonction principale des biais cognitifs est de permettre à notre cerveau d’économiser du temps et de l’énergie en développant des raccourcis mentaux. – Anaïs Roux (in Neurosapiens : comment utiliser votre cerveau pour vivre mieux – éditions Les Arènes)
Albert Moukheiber, neuroscientifique, ajoute que ces biais jouent aussi un rôle utile dans la vie sociale.
L’utilité des biais cognitifs chez les humains
Nous comprenons donc que les biais cognitifs sont utiles à l’espèce humaine pour plusieurs raisons :
- ils assurent des repères qui permettent la vie en société;
- si nous n’étions sûrs de rien, nous serions déboussolés, nous ne pourrions jamais prendre de décisions, nous serions torturés par des doutes incessants.
Par exemple, grâce au biais de sélection, nous choisissons de ne garder en mémoire que les moments agréables passés avec nos proches, plutôt que les disputes ou les moments difficiles. Albert Moukheiber prend avec malice l’exemple d’un coup de fil d’un ami : lorsqu’un ami nous appelle et qu’on lui répond « j’étais justement en train de penser à toi », nous déclenchons un biais de confirmation et oublions alors toutes les fois où nous avons pensé à cet ami sans qu’il appelle. Sans ce biais de confirmation, nous aurions plus de mal à créer des liens sociaux.
Anaïs Roux définit le biais de confirmation comme la tendance commune à ne rechercher et ne prendre en compte que les informations qui confirment nos croyances et à ignorer celles qui les contredisent. Ce biais cognitif permet ainsi une économie d’énergie au cerveau. Un biais cognitif est donc avantageux ou désavantageux en fonction du contexte.
L’esprit critique, c’est davantage déjouer les biais cognitifs (les comprendre, plutôt que les supprimer)
Dans une démarche d’éducation à l’esprit critique, il est utile de prendre conscience qu’il existe des biais cognitifs dans le cerveau et de comprendre que la réalité que nous pensons objective est construite sous l’effet de ces biais. Cela ne peut se faire que dans un temps long car notre cerveau a tendance à aller au plus simple (écraser la réalité pour la faire rentrer dans des cases, diviser et faire des catégories, polariser). Ce que le cerveau nous fait gagner en rapidité nous le fait perdre en nuance et en richesse. Nous pouvons apprendre à douter de nos pensées, de nos intuitions et à prendre une pause avant d’agir.
Ce type de doute doit être méthodique, à ne pas confondre avec le fait de douter de tout et remettre toute information en question. Le but est de savoir à quel moment douter, et à quel moment faire confiance en adoptant un mode de pensée graduel (j’en sais beaucoup / j’en sais peu) plutôt que binaire (je sais / je ne sais pas). Il est plus intéressant de voir pourquoi on élabore un raisonnement plutôt qu’un autre. Cela nécessite de ne pas s’identifier à des opinions afin de ne pas se sentir attaqué en cas de preuves contradictoires. L’esprit critique nous invite à éviter l’attaque ou la défense dans le but de nous faire reconnaître ou protéger notre identité.
Par ailleurs, l’esprit critique est d’abord une démarche à appliquer à soi-même. L’esprit critique n’est pas une traque aux biais cognitifs chez les autres.
Education à l’esprit critique : 5 pistes à explorer pour savoir si un biais cognitif est plutôt bénéfique ou nuisible dans une situation donnée.
Dans son livre Neurosapiens : comment utiliser votre cerveau pour vivre mieux, Anaïs Roux propose quelques pistes à explorer pour savoir si un biais cognitif est plutôt bénéfique ou nuisible dans une situation donnée.
1.Se renseigner sur les biais cognitifs
Anaïs Roux nous conseille de comprendre comment fonctionnent les biais cognitifs chez les humains, et surtout de comprendre comment ils fonctionnent chez nous.
En effet, quand on est attaché à une opinion, on va avoir tendance à ne pas croire, et même pire à ne pas voir, les informations qui contre disent cette opinion (au risque de rester dans le faux). Le biais de confirmation est un biais cognitif qui consiste à chercher des informations qui vont renforcer nos croyances, et à ignorer (même inconsciemment), à relativiser ou à rejeter les informations qui ne vont pas dans le sens de nos croyances. De même, l’effet retour de flamme pourrait être lié à notre degré d’adhésion à certaines valeurs. Quand nous sommes confrontés à des preuves contredisant nos croyances, nous avons tendance à les rejeter et à nous refermer davantage sur nos croyances initiales, sous-tendues par des valeurs. Plus on adhère à une valeur, plus on est attaché aux croyances qui s’y rapportent et ces croyances se retrouvent paradoxalement renforcées par des preuves contradictoires. En effet, il est désagréable, voire insupportable, d’avoir tort.
En réalité, nos opinions reposent sur des valeurs, plutôt que sur des faits (et nous persévérons dans des dialogues de sourds).
2.S’attacher au raisonnement plutôt qu’au résultat
Anaïs Roux nous suggère de retracer le cheminement de sa pensée, mais aussi de ses faits et gestes, peut aider à mettre en lumière le ou les moments qui ont mené à une décision illogique. Par exemple, le biais de cadrage a montré que, sans changer la nature ni la quantité ou le prix des objets mais en introduisant une variable supplémentaire, on peut changer les décisions prises par les humains (sans qu’ils en soit conscients). Un exemple explicite est le fait de présenter une même quantité de nourriture dans des assiettes de différentes tailles : la même quantité sera perçue comme plus ou moins importante selon si l’assiette est grande ou petite.
De même, un téléphone qui coûte 499 euros peut être vu comme une bonne affaire s’il est présenté au milieu de deux autres téléphone coûtant 599 euros et 700 euros… mais comme trop cher s’il est présenté au milieu de téléphones coûtant entre 200 et 400 euros.
3.Se dire qu’on n’a pas besoin d’avoir une opinion tranchée sur tous les sujets
Savoir suspendre son jugement, reconnaître son ignorance, attendre d’en apprendre plus sur un sujet avant de se prononcer, voilà le mieux à faire pour ne pas tomber dans les biais cognitifs. – Anaïs Roux
En complément, il peut être utile de se familiariser avec la méthode scientifique (et cela ne signifie absolument devenir capable de lire toutes les études ou méta-analyses en anglais sur Google Scholar ou PubMed).
La méthode scientifique, c’est tout d’abord l’expérimentation dans des conditions contrôlées et la reproduction des expériences. Quand les avis et recommandations des agences sanitaires et des académies sont convergents à l’échelle internationale, on peut estimer qu’ils reflètent un consensus scientifique sur lequel s’appuyer.
Pour obtenir une information fiable (dans l’état actuel des connaissances), il faut :
- Qu’elle soit dans notre espace/temps (prouver que Dieu existe ne peut pas se faire avec la méthode scientifique car il est qualifié d’omniprésent donc ni dans notre espace ni dans notre temps)
- Savoir exactement ce que l’on cherche
- Être prêt à le prouver
- Se donner autant de chances d’avoir tort que raison
- Prendre en compte les faits
- Partager l’expérience pour que des gens la reproduisent
Un scientifique honnête va partager les résultats de ses expériences et les détails de sa démarche avec ses pairs. Il va également envoyer le protocole de son expérience à une revue spécialisée qui sollicitera d’autres scientifiques afin que ces derniers la valident ou non. Si les autres scientifiques la valident, elle sera publiée dans la revue. Même avec ce processus de revue par le pairs, des erreurs peuvent subsister, mais ce système d’autocritique permet de sélectionner des informations aussi fiables que possible. De plus, d’autres scientifiques peuvent refaire l’expérience dans les mêmes conditions afin de vérifier les résultats… et éventuellement les réfuter s’ils se révèlent faux. Le scientifique à l’origine du résultat initial peut alors se rétracter : c’est ainsi que la science avance, par essais/ erreurs selon une méthode rigoureuse qui vise à éviter au maximum les biais cognitifs.
La vigilance épistémique est un concept de Dan Sperber, définie comme la faculté que nous avons de traiter une information avant de l’intégrer à notre représentation du monde. Quand nous faisons preuve de vigilance épistémique, nous augmentons nos chances de ne pas croire (ni relayer) des informations de mauvaise qualité ou trompeuses.
Thomas Durand, cofondateur de la chaîne La tronche en biais, rappelle dans son livre Quand est-ce qu’on biaise ? que les problèmes se posent avec les sujets pour lesquels nous avons peu (voire aucune) compréhension. Dans ce cas, nous devons mobiliser beaucoup d’efforts pour compléter notre compréhension du monde ou bien évaluer le degré de crédibilité de la thèse défendue, en fonction de la confiance que nous accordons à la compétence de la source. Thomas Durand parle d’effort dans le sens où nous avons tendance à relâcher notre vigilance épistémique face à une personne à laquelle nous faisons habituellement confiance. En général, nous ne remettons pas systématiquement et méthodiquement en cause les moindres paroles d’un expert dont la compétence a déjà été éprouvée par le passé (du fait d’un diplôme, de recherches en lien avec le sujet, de livres au succès littéraire, de prospectives qui se sont révélées justes dans le passé, de prix ou récompenses reçues…) Une personne ne doit jamais faire autorité. Il nous est très difficile d’admettre qu’une information peut être fausse alors qu’elle provient d’une source que nous aimons bien ou que nous tenons pour qualitative, pour fiable.
4.Multiplier les points de vue et élargir les bulles de filtre
Nous avons beaucoup à gagner à compter sur les autres pour nous éclairer. Certains humains sont plus compétents que nous dans les domaines avec lesquels nous ne sommes pas à l’aise. Il est important de chercher des points de vue en dehors de nos cercles habituels afin de ne pas être victimes du biais de confirmations (les personnes avec lesquelles nous avons de l’affinité risquent d’avoir les mêmes biais que nous).
L’influence sociale nous fait adhérer à ce que disent les personnes qui nous sont proches, physiquement ou en matière de représentation du monde, c’est-à-dire en matière de valeurs. Si nous discréditons d’emblée toute idée émise par des personnes dont les opinions nous dérangent, nous maximisons nos risques d’être manipulés par des personnes faisant autorité dans le groupe auquel nous nous identifions. On ne peut être trahi que par les personnes auxquelles nous accordons notre confiance. En conséquence, les influences les plus puissantes sont celles qu’exercent les individus auxquels nous nous fions et c’est face à celles-ci dont nous devons le plus faire preuve d’esprit critique avec méthodologie.
5.Ne pas survaloriser l’intuition
Anaïs Roux nous avertit : “Croire notre intuition sur un sujet que nous ne maîtrisons pas ne nous aide pas.” L’intuition se base sur trois éléments :
- les expériences passées,
- la mémoire personnelle,
- les apprentissages précédents.
On ne peut donc faire confiance à l’intuition que dans un champ de compétence qu’on maîtrise puisqu’elle émane précisément de notre compétence qui est le résultat des expériences, des apprentissages et des éléments restés en mémoire en lien avec ce domaine.
Avoir une intuition sur un sujet où nous n’avons pas suffisamment de compétence est en réalité un raccourci, un raisonnement rapide qui ignore une grande partie des informations. – Anaïs Roux
Pour aller plus loin : Les émotions ne sont pas contraires à la raison. Les émotions sont nécessaires, mais pas suffisantes : attention à ne pas survaloriser l’intuition.
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Source : Neurosapiens : comment utiliser votre cerveau pour vivre mieux d’Anaïs Roux (éditions Les Arènes). Disponible en médiathèque, en librairie ou en ecommerce
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