Comme des invitées de marque : le témoignage d’une famille sans école (repenser l’instruction et la famille)
Comme des invitées de marque : le témoignage d’une famille sans école (repenser l’instruction et la famille)
Je côtoie plusieurs familles ayant fait le choix de l’instruction en famille et c’est un sujet qui m’attire. J’aime lire des témoignage de personnes ayant fait des choix différents pour m’en inspirer dans ma vie personnelle et professionnelle. Celui de Léandre Bergeron est particulièrement enrichissant. Comme écrit dans la préface, “Ce simple témoignage n’est donc pas un guide, un manuel, un compte rendu d’expérience, un roman, un sermon… C’est juste une cure de bon sens, un retour à l’instinct de vie”.
Léandre Bergeron était enseignant et a fait le choix de vivre des produits de sa ferme dans la campagne canadienne. Il raconte dans son livre les motivations de ses choix et décrit l’enfance de ses 3 filles non scolarisées (aujourd’hui trentenaires). On y apprend que ses filles sont nées à la maison, que lui-même et sa femme ne les ont jamais laissées pleurer, qu’ils n’ont jamais cherché à leur “enseigner” des choses.
Qu’ai-je donc fait pour que ça coule de source, comme une source de vie jaillissante, sans bornes et sans fin, une joie continue d’être avec elles, parmi elles, entouré d’elles ?
Qu’avons-nous fait ? Non. C’est plutôt : Qu’est-ce que nous n’avons pas fait, leur mère et moi, pour qu’il y ait toujours dans leurs yeux cette flamme de vie sereine, ce regard franc qui tranche comme une lame de patin dans la neige compactée du sentier qui mène à l’étang-patinoire et ce sourire débordant de gentillesse quand nos regards se croisent mais qui sait se transformer dans un éclair en révolte devant l’injustice, en un torrent de mots réprobateurs quand leur dignité est offensée ? – Léandre Bergeron
Résumé :
Comme des « invitées de marque », les enfants de Léandre Bergeron grandissent et apprennent librement, dans la campagne de l’Abitibi, au nord de Montréal.
Dans une langue savoureuse, l’auteur décrit le quotidien avec ces adolescentes qui ne sont pas allées à l’école et qui n’ont pas été « éduquées ». Et pourtant, elles lisent, écrivent, travaillent, discutent, interagissent avec des gens de tous âges, avec enthousiasme, bienveillance et sens des responsabilités.
« Cette obsession à vouloir instruire nos enfants le plus tôt possible est une interférence dans la relation parent-enfant, une atteinte très grave à la symbiose. L’idée que le parent se fait de l’enfant, l’image qu’il a de lui, est un écran entre les deux. Pour le parent, l’enfant n’en sait toujours pas assez. Chez l’enfant s’installe le sentiment qu’il n’est jamais à la hauteur, qu’il est un objet inadéquat. »
« Se déscolariser est un long processus, surtout parce que la scolarisation pénètre et imprègne tellement tous les cerveaux que ça nous prend longtemps avant de comprendre ce que peut être un cerveau déscolarisé. Et il n’y en a pas beaucoup autour. Même nos analphabètes sont scolarisés parce qu’ils ont intégrés dans leur cerveau leur scolarité ratée comme un échec. Tous nos décrocheurs et écoeurés-de-l’école sont bien scolarisés parce qu’ils vivent leur non-conformité comme une faute, comme un péché. L’école imprègne tous les cerveaux dits civilisés comme jadis l’Église pénétrait les moindres recoins de l’âme des catholiques entre autres. Hors de l’Eglise, point de salut. Aujourd’hui, hors de l’école, point de salut. »
« Pourtant, je dois constater que, quand on ne le leur impose pas, les enfants apprennent avec une simplicité déconcertante. »
Extraits choisis :
- Sur les bébés :
L’instinct est si mal vu et si malmené dans nos sociétés dites civilisées qu’on ne le reconnaît souvent plus.
Séparer un nouveau né de sa mère pour l’isoler dans un lit à barreaux, souvent dans une autre pièce, est un crime contre l’humanité.
Le bébé a besoin de sentir l’odeur de sa mère pour développer ses sens et son intelligence, il a besoin de toucher la peau de sa mère pour en absorber la chaleur, la vitalité. Il a besoin du regard de sa mère, ce contact des yeux, pour sentir son humanité naissante. Et ce contact, le père peut le nourrir tout autant.
- Sur l’enfance
Si l’adulte lui demande de refouler ses larmes, non seulement l’angoisse perdure mais elle n’a plus droit d’expression. Et quand l’enfant ravale ses larmes, que peut-on voir dans ses yeux ? Qu’il n’a plus le droit d’être comme il est.
Si je respecte mon enfant, je n’ai aucun droit de l’interroger, de lui demander des comptes. Si je respecte mon enfant, je suis poli avec lui comme avec tout invité de marque.
Il faut libérer l’enfant du sentiment de culpabilité qui peut surgir quand il fait une gaffe, renverse un verre d’eau sur la nappe ou salit le plancher avec ses bottes pleines de boue. Savoir ne rien dire même si notre petit ordre est bousculé, faire comme si de rien n’était. Comment réagit-on quand un invité renverse son verre de vin sur la nappe ? On l’essuie tant bien que mal, mais on n’interrompt pas la conversation et le repas pour autant. On passe par dessus. Et que fait-on quand c’est soi-même qui renverse son verre ? La même chose.
Au nom de la “bonne éducation”, je devrais semer la terreur dans le coeur et l’esprit de mon enfant pour l’avoir à ma merci, pour obtenir son obéissance au doigt et à l’oeil, pour le soumettre ?
- Sur l’adolescence
La crise d’adolescence n’est pas une “étape normale”. S’il y a crise, c’est qu’il y a problème.
Les enfants devenus ados rentrant en crise tirent une énième fois la sonnette d’alarme pour sauver la relation avec leurs parents mais ces derniers complètement coupés de leur empathie n’y voient qu’une opportunité de redoubler dans leur autorité/domination/contrôle.
“L’affection, il faut que ce soit gratuit, pas pour en avoir en retour comme si on est deux en manque, comme des enfants battus qui se consolent l’un l’autre. Ca, ça peut pas être la base d’une relation. Oui, comme amie, je peux bien offrir mon épaule à un gars ou à une fille, pour les blessures présentes et passées, mais c’est pas là dessus qu’on bâtit une relation amoureuse, il me semble. Si le gars a besoin d’une mère, qu’il retourne la voir, qu’il règle ses comptes avec elle. Moi, j’ai pas du tout envie d’être la mouman de Pierre, Jean, Jacques. Je comprends que les relations éclatent quand elles sont basées sur des manques.” – Déirdre Bergeron
- Sur l’école
Comment oser dire que les enfants qui ne fréquentent pas l’école ne vont pas développer leur sociabilité ? C’est tout le contraire que je constate. Car la socialisation forcée des écoles ressemble à la socialisation des prisons plutôt qu’à l’épanouissement des relations humaines chaleureuses.
Un enfant qui doit faire une tâche pour “apprendre à travailler” n’apprend rien de plus que l’obéissance.
Un être soumis est une bombe à retardement.
Ce qui m’amène à parler de la facilité avec laquelle les enfants s’intègrent à la vie active des adultes quand ils en ont la chance. On dirait même que c’est naturellement ce qu’ils veulent faire alors que l’école s’entête à l’interdire systématiquement.
- Sur les apprentissages
L’important, ce n’est peut-être pas d’arriver au but que l’on peut se fixer mais le processus dans lequel on s’engage.
J’ai toujours envisagé toute question de leur part comme d’une importance capitale pour elles et qui, de ce fait, méritait toute mon attention. Si je ne pouvais pas répondre à l’instant, je m’assurais de le faire à leur convenance plus tard. Mais, surtout ne pas étirer la réponse, pêché capital des enseignants et des parents scolarisés bien attentionnés. Savoir s’arrêter quand l’intérêt de l’enfant n’y est plus. Et ça se voir facilement dans le regard de l’enfant qui quitte le vôtre.
Apprendre à ne pas enseigner, c’est-à-dire à ne pas transmettre des connaissances à tout prix, à ne pas forcer la dose, à ne pas être obsédé par l’accumulation de connaissance chez notre enfant comme s’il devait subir un examen dans l’heure qui suit.
Il n’y avait rien à faire qu’à les laisser jouer à leur guise, tant qu’elles voulaient, pour qu’elles apprennent ce qu’elles avaient besoin de savoir à leur âge. Pourquoi est-ce qu’elles devraient savoir lire et écrire avant d’avoir besoin de lire et écrire ? Pourquoi faire du plaisir d’apprendre une torture en l’imposant prématurément ?
Quel besoin mes filles avaient-elles de lire à sept, huit ou dix ans ? Aucun. Quel besoin avaient-elles de compter, additionner, soustraire ? Aucun. Jusqu’à ce que dans leurs jeux à elles, elles sentent un manque et cherchent à le combler.
Moi, je ne suis qu’un assistant disponible.
Pas d’obligation, pas de stress, pas de tests, pas de tension, pas d’autorité. Le seul désir d’apprendre les pousse à faire accorder les adjectifs avec les noms, les participes passés avec le sujet s’ils sont conjugués avec “être”.
- Sur la société
Dans une société harmonieuse, on y retrouverait des adultes et des enfants de tout âge interagissant tous entre eux, grands-parents avec petits-enfants, adolescents avec adultes et cela, toujours avec une proportion plus grande d’adultes, de telle sorte que l’enfant ait toujours une référence adulte immédiate et ne soit jamais en position de repli sur soi ou sur ses pairs.
Nos sociétés dites civilisées sont de plus en plus ségrégationnistes. Enfants à la garderie avec gardiens (ratio : 1 pour 6); enfants d’âge scolaire à l’école avec gardiens (ratio : 1 pour 20); lieu de travail : adultes actifs seulement, interdit aux enfants; lieu de retraite : adultes passifs seulement, interdit aux adultes actifs et aux enfants (ratio : 10 adultes passifs infantilisés pour un gardien).
L’individu frustré est le meilleur consommateur. L’être sain est un mauvais consommateur, Dieu merci !
Une nouvelle famille est possible, respectueuse des individus, des sentiments profonds qui les unissent.
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