Le talent est une fiction : de Mozart aux transclasses, un livre pour déconstruire les mythes de la réussite

Le talent est une fiction : de Mozart aux transclasses, un livre déconstruire les mythes de la réussite

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L’autrice : Samah Karaki, née en 1984, a grandi à Beyrouth où elle a étudié la biologie. Docteure en neurosciences, elle fonde en 2014 le Social Brain Institute qui a pour objectif de s’appuyer sur les apports des sciences cognitives pour promouvoir la justice sociale et environnementale, et donne des conférences dans le monde entier.

Cet ouvrage est organisé autour de 5 chapitres : 

  1. Aux origines de la fiction
  2. Le talent dans les gènes ?
  3. Le talent dans la sueur ?
  4. Le talent dans la perception de soi ?
  5. Vers de nouveaux récits ? 

Dans ce livre, Samah Karaki propose de “dépouiller le talent de son aura mystérieuse” afin de nous aider à mieux comprendre à quel point nos milieux de vie, le hasard, nos liens aux autres, les stéréotypes et nos croyances nous façonnent. Elle s’attache à démontrer que les trajectoires humaines sont une interaction entre les aptitudes initiales, l’environnement et l’expérience individuelle, intime. Nous sommes plus influencés par la géographie (qui implique une socioculture), l’époque dans laquelle nous vivons (puisque cette époque porte en elle des innovations techniques et des normes qui accordent plus ou moins de valeur à tel ou tel talent), la famille dans laquelle nous naissons (avec ses valeurs et son statut économique), que ce que nous pensons. Le rôle du soutien psychologique (famille, amis, mentor, professeurs, coéquipiers) est également clé. 

Il ne s’agit pas de nier le rôle de l’héritage génétique, de l’effort, et de l’état d’esprit, mais d’explorer de nouvelles perspectives. Par exemple, le facteur chance est vu comme une insulte à l’intelligence et aux efforts, alors que c’est un facteur, parmi d’autres, qui influence les trajectoires personnelles. 

Samah Karaki rappelle notamment que le sexe ou la couleur continuent de l’emporter sur l’effort : aux Etats-Unis, en moyenne, les blancs moins éduqués gagnent plus que les noirs plus éduqués, et les hommes gagnent plus que les femmes de même niveau d’instruction. Il y a évidemment des trajectoires individuelles qui viennent contredire ces statistiques mais, précisément, celles et ceux qu’on appelle les transclasses ne rendent pas compte de la moyenne et peuvent être utilisés à des fins idéologiques. S’ils existent, cela signifie bien que l’adage “quand on veut, on peut” est vrai. Il est pourtant faux en partie. Tout le talent (sans jeu de mot) de Samah Karaki est de montrer comment les transclasses ont pu avoir la trajectoire qu’ils ont connue (c’est-à-dire examiner les circonstances qui ont rendu cela possible) et pourquoi ils sont finalement si peu nombreux malgré les promesses de la société méritocratique. Samah Karaki remarque avec malice que la meilleure choses à faire pour réussir reste de naître dans une famille riche et instruite. 

Samah Karaki montre en quoi parler de talent inné n’est pas approprié. Elle prend pour exemple Mozart, mais aussi les coureurs kényans qui seraient “naturellement” doués pour le marathon. Elle explique aussi pourquoi on rencontre tant d’hommes noirs dans les équipes de basket de haut niveau aux Etats-Unis. Ce n’est pas une question de talent dans les gènes, ni d’un point de vue individuel, ni d’un point de vue ethnique. 

J’ai particulièrement apprécié l’articulation des chapitres car chaque chapitre amène un lot de questions et l’autrice n’élude jamais ces questions. Au contraire, elle s’y attaque dans une démarche de pensée complexe et d’étayage scientifique. Ainsi, elle se demande “Si les gènes seuls n’expliquent pas le talent, et qu’il nous faut les moyens et les ressources, peut-on tous devenir excellents en nous entraînant sans relâche ?” Samah Karaki parle notamment de la fin du mythe des 10 000 heures. Elle écrit : “En réalité, les théories de pratique délibérée ne tiennent compte ni de l’efficacité des stratégies de pratique, ni du rôle d’autres facteurs potentiellement influents telles que les opportunités d’apprentissage, l’appétence et les croyances des apprenants. Il faut certes beaucoup de pratique délibérée et intentionnelle pour réussir, mais le modèle de la pratique délibérée, construit uniquement sur la combinaison additive de l’effort et du travail routinier, n’explique en fait qu’une petite partie de la variance des performances.”  

Samah Karaki explique que le talent est dérivé d’un processus multiplicatif grâce à des avantages souvent invisibles. Rendre plus visibles ces avantages revêt une dimension politique

Ce livre est riche d’enseignement pour tous les professionnels du monde éducatif car il met en perspective certaines pratiques professionnelles qui partent d’une bonne intention mais qui se révèlent peu efficaces, ou bien qui découlent de mécanismes inconscients (comme l’effet de halo, la croyance en un niveau d’intelligence fixe ou la menace du stéréotype). 

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Le talent est une fiction : Déconstruire les mythes de la réussite et du mérite de Samah Karaki (éditions JC Lattes) est disponible en médiathèque, en librairie ou sur les sites de ecommerce.

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