Exagère-t-on les risques des écrans sur les enfants ?

Exagère-t-on les risques des écrans sur les enfants ?

risques des ecrans sur les enfants

Corrélation n’est pas causalité

Olivier Houdé (professeur de psychologie à l’Université Paris Descartes) rappelle qu’il existe un effet de corrélation entre une surexposition aux écrans et des troubles du développement chez certains enfants mais qu’il ne s’agit pas d’une relation de cause à effet. Les scientifiques n’ont pas réussi à démontrer quelle variable est à l’origine de cette corrélation : si ces enfants sont surexposés aux écrans, c’est peut-être qu’ils ne trouvent pas d’adultes assez disponibles dans leur entourage ou qu’ils s’ennuient par ailleurs. Si c’est le cas, alors la variable est éducative ou à trouver dans l’absence d’occupations et n’a rien à voir avec les écrans en eux-mêmes. Par ailleurs, certains enfants peuvent avoir des troubles affectifs liés à des traumatismes et se réfugient dans les écrans. Là non plus, ce n’est pas l’écran qui  a causé les troubles à l’origine.

On est dans une période où on exagère par manque de raisonnement scientifique les effets négatifs des écrans. – Olivier Houdé

Oliver Houdé regrette que les effets négatifs des écrans soient amplifiés du fait d’une sur médiatisation des professionnels s’occupant d’enfants présentant des problèmes affectifs et/ou de troubles du développement : comme ces professionnels s’occupent d’enfants perturbés d’une manière ou d’une autre, il y a parmi ces derniers plus de problèmes de surexposition aux écrans que dans la population générale mais cette surexposition ne cause pas leurs troubles.

Dans son livre Votre enfant devant les écrans : ne paniquez pas – Ce que disent vraiment les neurosciences, Nicolas Poirel reprend quelques idées reçues au sujet des méfaits des écrans sur les enfants. Il cite plusieurs études et méta-analyses pour comprendre les conséquences de l’exposition aux écrans sur les enfants, en prenant soin de différencier la nature des écrans et le type de contenu auquel sont exposés les enfants.

Nicolas Poirel prend le temps d’expliquer la démarche de la méthode scientifique et notamment l’intérêt des méta-analyses et la différence entre corrélation et causalité. L’auteur cite par exemple une analyse statistique menée auprès de plus de 350 000 adolescents qui a montré qu’un sentiment de mal-être chez l’adolescent a autant de chance d’être associé aux écrans qu’au fait de manger régulièrement des pommes de terre ou de porter des lunettes de vue (Orben & Przybylski, 2019).

Il est évident que le cerveau des enfants comme des adultes est influencé par l’utilisation des nouvelles technologies numériques et par le temps passé devant les écrans (de même que par n’importe quelle activité de leur vie quotidienne). Mais une influence n’est pas forcément mauvaise et le degré d’influence varie d’une situation à l’autre. Poirel n’encourage pas pour autant à laisser les enfants ou les adolescents aussi longtemps qu’ils le souhaitent devant des écrans, mais à prendre en compte le fait que tous les types d’écrans – télévision, tablette, console de jeux – n’ont pas le même impact sur le fonctionnement neurocognitif, que ces impacts varient selon le type de programme visionné et de jeu utilisé, et que leurs effets peuvent varier selon l’âge.

Pour aller plus loin : Les enfants et les écrans : un livre pour éclairer les idées reçues à la lumière des neurosciences

Votre enfant devant les écrans ne paniquez pas ce que disent vraiment les neurosciences

Ecrans et attention conjointe chez les plus jeunes

Nicolas Poirel rappelle qu’un jeune enfant ne devrait pas rester devant la télévision plusieurs heures, seul. Il regrette que cette précision (« seul ») soit rarement mentionnée, alors qu’elle fait toute la différence.

Les études scientifiques nous démontrent qu’il est déconseillé de laisser un jeune enfant devant la télévision, car ce média n’apporte rien de particulier jusqu’à l’âge de 3 ans environ (même si le contenu peut être soit positif, soit négatif, avec néanmoins une influence minime, notamment sur l’acquisition du vocabulaire). Cependant, il n’a jamais été prouvé que le fait qu’un parent regarde en compagnie de son enfant des dessins animés ou une émission quelle qu’elle soit pouvait entraîner le moindre effet négatif. – Nicolas Poirel

Ce qui peut être conservé en mémoire quand on parle d’écrans et de jeunes enfants est le fait que regarder ensemble, discuter de l’histoire, du contenu, des objets et personnages présents à l’écran avec l’enfant pourraient lui permettre d’enrichir son lexique et ses connaissances. Nicolas Poirel insiste sur cette notion de regarder ensemble car le mécanisme d’interaction, dit d’attention conjointe, entre enfant et adulte est bénéfique pour l’enfant. Ainsi, une télévision allumée en « bruit de fond » produit une altération des interactions entre un parent et son bébé s’ils ne visionnent pas ensemble le programme.

L’écran comme outil PARMI D’AUTRES de la culture dans laquelle baignent les enfants 

Les écrans font partie du monde (au même titre que les livres) et sont des outils de notre culture. Toutes nos interactions et actions ont des effets sur notre cerveau puisque, par nature, le cerveau humain est plastique. Ainsi, lire un livre a une incidence sur le cerveau des enfants, de la même manière que les écrans ont une incidence sur le cerveau des enfants. Olivier Houdé fait remarquer que, à la Renaissance suite à l’invention de l’imprimerie qui a constitué une révolution technologique comparable à celle des écrans, certains adultes se méfiaient des livres parce qu’ils étaient considérés comme dangereux (idées potentiellement perverses, temps de lecture non consacrée à la pratique de travaux physiques, trop d’immobilisme si trop de temps passé à lire…).

L’idée est donc de ne pas diaboliser les écrans mais 1/ de diversifier les activité (numériques et non numériques) réalisées avec les enfants pour partager avec eux des moments agréables et 2/ accompagner les jeunes enfants dans leur usage des écrans. Le problème intervient quand l’écran est le seul moyen pour un enfant d’appréhender le monde. Les jeux sur écrans peuvent présenter certains atouts (apprendre à catégoriser, comprendre le lien de cause à effet via des actions sur l’écran…) mais l’enfant a également besoin de passer par le mouvement et la manipulation en trois dimensions : tout est donc question de mesure et de proposition d’un environnement équilibré et riche en opportunités. Un temps trop important passé devant les écrans va priver l’enfant de temps passé à faire autre chose. Ce n’est pas l’écran en soi qui est problématique mais le fait qu’il risque de détourner les enfants des activités spontanées programmées pour son développement (motricité, langage, interactions humaines…).

Pour aller plus loin : Les effets négatifs de l’exposition des jeunes enfants à la télévision sont-ils exagérés ?

Toutefois, nous pouvons être attentifs aux effets publicitaires qui vantent des produits inadaptés aux besoins moteurs des enfants : un pot connecté n’a absolument aucun intérêt et peut même couper l’enfant de ses sensations puisqu’il est diverti et distrait.

Quels sont les risques réels des écrans sur la santé et les apprentissages des enfants et adolescents ?

L’abus d’écran, un symptôme de dysfonctionnements plutôt qu’une cause 

Même s’il existe un effet de corrélation entre une surexposition aux écrans et des troubles du développement chez certains enfants, il ne s’agit pas nécessairement d’une relation de cause à effet. Les scientifiques n’ont pas réussi à démontrer quelle variable est à l’origine de cette corrélation : si ces enfants sont surexposés aux écrans, c’est peut-être qu’ils ne trouvent pas d’adultes assez disponibles dans leur entourage. Si c’est le cas, alors la variable est éducative ou à trouver dans l’absence d’occupations et n’a rien à voir avec les écrans en eux-mêmes. Par ailleurs, certains enfants peuvent avoir des troubles affectifs liés à des traumatismes et se réfugient dans les écrans. Là non plus, ce n’est pas l’écran qui  a causé les troubles à l’origine. Les effets négatifs des écrans peuvent également être amplifiés du fait d’une sur médiatisation de professionnels s’occupant d’enfants présentant des problèmes affectifs et/ou de troubles du développement : comme ces professionnels s’occupent d’enfants perturbés d’une manière ou d’une autre, il y a parmi ces derniers plus de problèmes de surexposition aux écrans que dans la population générale mais cette surexposition ne cause pas leurs troubles. Ainsi, l’autisme est un trouble avec lequel les enfants naissent mais n’est pas provoqué par les écrans. Considérer que les écrans provoquent l’autisme, c’est prendre le risque de passer à côté d’un diagnostic adéquat et donc d’une prise en charge efficace.

Si un enfant hurle au moment d’éteindre l’écran, ce n’est pas le signe qu’il est devenu dépendant ou “addict” mais qu’il passait un moment agréable qu’il voudrait prolonger (comme quand un enfant ne veut pas descendre d’un manège ou insiste pour une crêpe à la fête foraine).

Lire en complément : Les écrans sont comme des desserts pour le cerveau.

Les écrans provoquent-ils des troubles de la santé mentale ?

Les cas des troubles de l’attention ne semblent être observés qu’après de longues heures passées devant la télévision, et ce seulement chez moins de 10 % des enfants surexposés. Nicolas Poirel  reprend l’idée selon laquelle les jeux vidéo seraient à l’origine de schizophrénie chez certains adolescents. Cette croyance est dûe à une mauvaise interprétation de deux études sur le sujet. L’une a étudié des adolescents jouant à Super Mario. Les chercheurs ont observé, après plusieurs heures de ce jeu « à la première personne » (c’est-à-dire que le joueur est à la place du personnage qu’il contrôle dans le jeu) des variations du volume cérébral de l’hippocampe (Kühn et al., 2014). Dans une autres étude, Kalmady et collaborateurs (2017) ont révélé des anomalies structurelles de l’hippocampe chez les patients atteints de schizophrénie. Certaines personnes en ont déduit que jouer à Super Mario = modification de l’hippocampe = schizophrénie.

En réalité, de nombreux apprentissages vont moduler le volume cérébral de l’hippocampe (c’est le cas de toutes les activités qui font acquérir de nouvelles connaissances).

Lorsque les joueurs bénéficient de différentes vues du personnage de Super Mario, celles-ci modulent la structure de l’hippocampe, en lien avec les modifications de stratégie visuelle qui vont être mises en place par les joueurs, et ne sont en aucun cas les prémices d’une schizophrénie. Ces variations de volume cérébral sont donc la signature d’un apprentissage, et pas du tout l’amorce d’une pathologie psychotique comme la schizophrénie. – Nicolas Poirel

A lire en complément : Pour une utilisation raisonnée des écrans chez les enfants (non, ils ne rendent pas autistes)

Les effets négatifs des écrans existent…

Un temps trop important passé devant les écrans va priver l’enfant de temps passé à faire autre chose. Ce n’est pas l’écran en soi qui est problématique mais le fait qu’il risque de détourner les enfants des activités spontanées programmées pour son développement (motricité, langage, interactions humaines…).

Pour autant, Olivier Houdé reconnaît que les écrans peuvent créer une fatigue visuelle entraînant une myopie plus précoce à l’adolescence. De plus, la consultation tardive des écrans peut provoquer un manque de sommeil du fait d’un endormissement plus tardif. Or le sommeil est essentiel pour le bon développement du cerveau et pour des apprentissages efficaces.

Tout temps d’écran le soir va manger sur un temps positif qu’a le cerveau via le sommeil sur les apprentissages. – Olivier Houdé

… mais peuvent être contre-carrés par une éducation aux écrans…

Ainsi, les écrans ne sont pas en soit à bannir à tout prix mais à apprivoiser en faisant notamment prendre conscience aux enfants et adolescents du temps qu’ils passent sur les écrans. Olivier Houdé nous exhorte à ne pas diaboliser les écrans mais plutôt à apprendre à les utiliser intelligemment… et même quelques fois à les ranger !

C’est la grande chance de la génération qui vient de combiner l’intelligence littéraire, lente et analytique qui nous vient des livres depuis l’imprimerie (et avant les parchemins) et l’intelligence numérique, plus rapide, plus simultanée, moins profonde mais plus fluide. Si les jeunes d’aujourd’hui peuvent combiner les deux, ils auront une intelligence plus riche et différente de celle des générations précédentes. – Olivier Houdé

Un rapport sain aux écrans serait celui qui ne détériore pas les relations parents/ enfants, qui ne dégrade pas l’atmosphère familiale, qui permet à la fois aux jeunes d’exercer leur autonomie, de jouer avec les outils de leur culture et aux parents de satisfaire leurs besoins de contribuer à la bonne santé mentale et physique de leurs enfants.

Nicolas Poirel conseille aux parents de faire en sorte que leurs enfants ne conservent pas leur smartphone avec eux dans leur chambre pendant la nuit, afin de ne pas être réveillés par des notifications, ou par l’envie de jeter un œil à l’évolution des publications sur leur réseau social favori. Mettre le téléphone en mode avion semble une bonne idée.

Il convient donc de communiquer au maximum auprès des parents sur les résultats scientifiques attestant l’impact positif du dialogue, de l’attention conjointe ou de l’intérêt pour les activités numériques de leurs enfants, plutôt que de se focaliser quasiment systématiquement sur les aspects négatifs des écrans. – Nicolas Poirel

Lire aussi : Éteindre les écrans, un sujet de tension récurrent entre parents et enfants : quelles solutions pour limiter l’escalade émotionnelle ?

… et une prise de conscience des habitudes des adultes, véritables modèles imités par les enfants dans leurs rapports aux écrans

Olivier Houdé rejoint les recommandations de Serge Tisseron quand ce dernier affirme que le lien des enfants aux écrans est d’abord celui de leurs parents aux écrans. La vraie question est celle du temps passé par les adultes entourant les enfants devant les écrans, au risque de la dégradation du lien et d’un modèle nocif à imiter ( les petits humains étant programmés pour l’imitation, si les parents passent beaucoup de temps le nez sur un écran, les enfants vont imiter ce modèle-là).

Dans son livre L’autorité bienveillante, Kim John Payne va jusqu’à regretter que des millions d’enfants reçoivent, des dizaines de fois par jour, le message suivant : l’écran est roi. Il parle d’un “vide relationnel” provoqué par les parents distraits par les écrans qui deviennent des voleurs de temps. C’est en ce sens que Serge Tisseron estime que la question la plus importante que tout parent devrait se poser est : “Combien de fois ai-je regardé mon enfant aujourd’hui ?“.

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Sources :

Vidéo Les troubles causés par l’exposition des enfants aux écrans par Olivier Houdé – Le Figaro

Conférence de Serge Tisseron au CRI sur l’enfant, la famille & les écrans (01/04/2019)

Votre enfant devant les écrans : ne paniquez pas – Ce que disent vraiment les neurosciences de Nicolas Poirel (éditions De Boeck). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.

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