Comment susciter le désir d’apprendre et replacer le plaisir au coeur des apprentissages ?

Savoir sans apprendre, le rêve de beaucoup… et le défi des enseignants ?

A la lecture du livre de Philippe Meirieu Le plaisir d’apprendre, je me suis rendue compte qu’il n’est pas si facile de transformer le désir inné de savoir en désir d’apprendre et encore moins en plaisir d’apprendre. Savoir sans apprendre est le rêve de nombreuses personnes ! On pourrait alors presque découper la mission des enseignants en trois étapes :

1.Susciter et accompagner le désir de savoir

2. Susciter et accompagner le désir d’apprendre

3. Susciter et accompagner le plaisir d’apprendre

1.Comment passer du désir de savoir au désir d’apprendre ?

Si l’on s’en réfère à Aristote, notre désir de savoir est naturel. Le simple fait de tourner les yeux pour savoir ce qui se passe atour de nous est la base de la curiosité naturelle, elle-même base des apprentissages.

 

Plus près de nous, Alison Gopnik (spécialiste en psychologie du développement) considère que « le bébé est un chercheur en herbe ». Dès son plus jeune âge, le bébé s’intéresse à tout ce qui l’entoure. Elle insiste sur le fait que « les petits ne sont pas des adultes imparfaits ». La façon dont l’adulte peut comprendre le monde ne lui est pas donnée à la naissance : seul le désir de savoir est inné mais la compréhension du monde est construite au cours de la vie et passe par différents stades de développement.

Philippe Meirieu complète cette vision de l’enfant : l’enfant est un être curieux de tout, hanté par le “pourquoi ?” et assoiffé d’explication.

Boris Cyrulnik confirme : même les enfants en retard intellectuellement ou souffrant d’inhibition du fait d’un défaut de sécurité affective peuvent retrouver le goût de savoir dans un environnement bienveillant et stimulant.

 

Mais il ne suffit pas de penser très fort à quelque chose pour que cette chose tombe du ciel ! Pour transformer le désir de savoir en apprentissage effectif et en connaissance, il faut nécessairement passer par la phase du “comment ça marche ?“, par celle des essais et tâtonnements, par l’étude de l’existant et par ses propres expériences.

 

Bernard Stiegler, philosophe, ajoute que la condition du savoir est l’amour du non-savoir, c’est-à-dire la capacité à accepter les remises en question, les controverses, les polémiques.

 

En ce sens, passer du désir de savoir au désir d’apprendre nécessite des efforts, de l’humilité, de l’aventure et du courage. L’enfant qui apprend à marcher passe de la station couchée puis assise et enfin debout par désir d’élévation à travers des étapes qui comportent des essais, des chutes, des demies-réussites, parfois des régressions.

 

2. Comment et pourquoi le désir d’apprendre nait-il ?

Qu’est-ce qu’apprendre ?

Dans Le plaisir d’apprendre, Philippe Meirieu définit la notion d’apprendre :

Apprendre, c’est compliqué : on tâtonne, on perd du temps, on gâche du matériel.

Apprendre, c’est difficile : il y a des détours à faire, des obstacles à surmonter, des échecs à dépasser.

Apprendre, c’est toujours risqué : il faut quitter ses certitudes et s’engager dans l’inconnu sans être jamais sûr d’arriver à bon port.

Les apprentissages sont souvent longs, parfois fastidieux, nécessitent de faire des liens, d’en défaire d’autres.

 

Pourquoi apprendre fait-il grandir ?

Philippe Meirieu indique rien ne fait plus grandir que la compréhension du monde, que ces étincelles ou ces déclics de la pensée qui arrive à nommer, que la rencontre entre les questions les plus intimes et les réponses les plus universelles.

La découverte du plaisir d’apprendre est l’acte fondateur de toute éducation.

Cela signifie aller au delà du désir de savoir et même au-delà du désir d’apprendre : aller au delà du désir de savoir mais s’engager dans le processus intellectuel de l’apprentissage et même transformer l’effort intellectuel en plaisir.

 

Savoir sans apprendre : possible mais vraiment souhaitable ?

Pour savoir sans apprendre, on pourrait connecter le cerveau humain sur un réseau d’informations géant qui le remplirait avec toutes les informations disponibles. Pour autant, éprouverait-on autant de plaisir, de satisfaction ou de fierté qu’en lisant des livres, qu’en sélectionnant les informations que nous jugeons nous-mêmes utiles, en synthétisant par nous-mêmes, en cherchant à réexpliquer et à partager avec d’autres les découvertes, en ressentant le déclic de compréhension, en sentant les informations se mettre en lien dans notre cerveau ?

j'ai compris je peux continuer

 

Savoir sans apprendre est pourtant possible grâce à la technologie : pas besoin de savoir comment fonctionne un processeur ou un logiciel pour se servir d’un ordinateur, pas besoin de connaître les notions de profondeur de champ ou d’ouverture du diaphragme pour prendre une photo, pas besoin de compiler et trier des informations sur un sujet quand Wikipedia l’a déjà fait.

 

Or il y a plus de plaisir et de liberté dans le fait de comprendre, de découvrir, de s’approprier des connaissances que dans le fait de simplement les mémoriser ou les copier.

 

Marcel Gauchet, philosophe et historien, complète sur les motivations dans les apprentissages :

On apprend d’abord pour soi-même, pour se saisir mieux, pour se fortifier, pour s’élargir, pour prendre distance avec soi-même.

 

Avant d’éprouver du plaisir à apprendre, il est donc nécessaire de retrouver ce sens personnel dans la démarche de savoir, apprendre pour soi, au service d’un désir ou d’un projet personnel.

>>> Je vous invite à lire l’article sur la question de la motivation intrinsèque dans les apprentissages sur ce sujet.

 

Comment susciter et accompagner le désir d’apprendre ?

A partir de là, Philippe Meirieu conseille à tous les parents, enseignants, éducateurs :

A nous de prendre le temps, de jardinage en bricolage, de lectures en jeux de société, de discussions en explorations, pour découvrir, avec nos enfants, “comment ça marche” et nous émerveiller avec eux.

Marcel Gauchet renchérit à propos des enseignants :

Rien n’est plus contagieux que l’exemple. Qui a du plaisir en donne le sens et le goût.

Boris Cyrulnik témoigne quant à lui que

Les arts, la culture, l’expression de la beauté sont les meilleurs alliés de l’école pour stimuler l’envie d’apprendre d’un enfant.

Dans le magazine Philosophie (septembre 2013), Jean-Yves Michaud ajoute que le travail sur du concret est plus favorable au déclic de l’apprentissage : monter une pièce de théâtre, créer un objet, participer à un projet qui met en lien plusieurs disciplines, construire des maquettes. Valoriser les expériences concrètes, c’est permettre de raisonner.

Daniel Gostain, professeur des écoles en pédagogie Freinet, soutient que :

Pour grandir et apprendre, un enfant a besoin de s’exprimer, de créer et de partager. Dans la classe Freinet, on s’exprime, on crée tous les jours, que ce soient des maquettes, des jeux, des travaux personnels préparés ou non, qu’on partage ensuite.

Dans Apprendre à apprendre, André Giordan et Jérôme Saltet insistent quant à eux sur la place de la personne dans les apprentissages et sur les liens entre estime de soi (image de soi-même en fonction de ses valeurs et croyances), confiance en soi (évaluation de ses capacités et de ses ressources personnelles) et apprendre.

Quand l’individu sait qui il est, ce qu’il veut faire, quelles sont les valeurs qu’il défend, il va plus facilement chercher le savoir dont il a besoin.

Renforcer l’estime de soi, la confiance en soi, prendre en compte ses désirs seraient donc bien une démarche d’éducation à investir.

Par ailleurs, enseigner et partager, c’est aussi apprendre : apprendre à l’autre, c’est accepter d’apprendre de l’autre.

Les enfants peuvent apprendre des adultes (enseignants et/ ou parents) mais aussi de leurs pairs, de leurs copains. Les adultes peuvent apprendre des enfants. Les adultes ont autant à y gagner que les enfants !

 

3. Comment le plaisir d’apprendre nait-il ?

Passer du désir d’apprendre au plaisir d’apprendre

Le désir d’apprendre n’apporte pas immédiatement le plaisir d’apprendre. Le plaisir d’apprendre naît alors :

  • des heures de tâtonnement et des instants d’émerveillement que le processus d’apprentissage offre,
  • du sentiment qu’on vient d’accéder à quelque chose qui vient de nous et qui nous échappe en même temps,
  • de la rencontre entre notre intelligence et l’intelligibilité du monde,
  • d’une difficulté qui paraissait insurmontable dont on est venu a bout,
  • du fait de trouver la bonne expression, le mot juste,
  • d’une création, de la production d’un signe de la connaissance acquise.

apprendre ne fait pas disparaitre les richesses mais les multiplie

Comment susciter et accompagner le plaisir d’apprendre des enfants ?

La découverte du plaisir d’apprendre nécessite aux côtés des enfants des adultes heureux de vivre, d’apprendre eux-même, de transmettre et de partager. Nous avons le devoir de mobiliser sans manipuler, de convaincre sans contraindre, d’instruire sans domestiquer.

Nous adultes pouvons accompagner la fierté de la réussite et le plaisir de se dépasser des enfants en :

  • rectifiant les erreurs sans condamner,
  • entendant les erreurs sans dénoncer les fautes,
  • donnant des conseils mais pas des injonctions pour améliorer les résultats,
  • invitant l’enfant à faire et refaire jusqu’à ce qu’il se découvre capable de se dépasser, d’accéder à ce qu’il n’aurait jamais imaginé être capable de faire.

Un accompagnement bienveillant/valorisant et stimulant/exigeant est essentiel car rien ne démobilise plus que l’échec.

Quand les enfants sont en confiance, ils apprennent plus facilement et de là découle le plaisir. Or découvrir le plaisir d’apprendre peut changer une vie et permettre de répondre à la question de Lyonel Trouillot (poète, romancier, professeur de littérature) : “qu’allons-nous faire de notre présence au monde ?

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Source : Le plaisir s’apprendre de Philippe Meirieu

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